Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/99

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que vers les éléments et la base même de notre substance, ruinent peu à peu les membres. Car les atomes de l’esprit et du corps se troublent, se déplacent, et font que les âmes nous échappent en partie, que le reste va se cacher au fond des êtres, ou, éparpillé dans la masse, ne peut y rester uni et fournir sa part au mouvement vital, les réunions comme les voies étant interrompues par la Nature. (4, 950) Le sentiment, que ces révolutions étouffent, gagne les profondeurs du corps. Tout appui manque sous nos organes : la défaillance nous prend, et une langueur générale des membres. Les bras, les paupières tombent ; les jarrets succombent à un lourd affaissement, et la vigueur se brise.

Ensuite nos repas amènent le sommeil, parce que la nourriture nous affecte comme l’air, quand elle circule dans nos veines. Et même cet assoupissement des hommes rassasiés ou las a mille fois plus de pesanteur. Car les atomes, rompus de travail, essuient de vastes bouleversements ; (4, 960) et ce désordre veut que nos âmes se jettent plus avidement au fond des membres, que leur fuite soit plus abondante, que mille déchirements intérieurs les éparpillent encore davantage.

Les choses qui nous attachent même quand elles sont accomplies, les occupations qui absorbent et exercent le plus nos intelligences, le sommeil a coutume de nous les imposer encore. Les avocats plaident, et interprètent les lois ; les généraux engagent et affrontent les batailles ; les marins soutiennent une guerre déclarée par les vents ; (4, 970) et nous aussi, un doux travail nous enchaîne : toujours, toujours interroger cette Nature, que nous exposons toute nue dans la langue de nos pères !

Tous les arts, comme tous les penchants, nous fixent ainsi, et peuplent nos rêves de leurs illusions. Vois les hommes assidûment occupés du théâtre plusieurs jours de suite : lors même que ces images ne frappent plus leurs sens avides, il est rare que leur intelligence ne garde pas des ouvertures libres, par où elles savent y remonter. Oui, durant quelques jours les mêmes prestiges assiègent (4, 980) leurs regards, et jusque dans leurs veilles ils croient apercevoir des corps bondissants, des membres agiles et souples. Ce pur accent des lyres, des cordes à la voix harmonieuse, leurs oreilles le boivent encore. La même foule leur apparaît avec toutes les pompes resplendissantes de la scène.

Tant la volonté, le goût et la nature du travail habituel ont de force, non-seulement chez les hommes, mais encore chez les bêtes ! Le sommeil qui abat les membres du coursier généreux, empêche-t-il que la sueur et une haleine précipitée (4, 990) ne marquent ses brûlants efforts pour disputer la palme ? Les barrières semblent ouvertes, et pourtant il repose.

Que de fois les chiens du chasseur, mollement assoupis, remuent tout à coup les jambes, aboient soudain, et aspirent à plusieurs reprises les airs,