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LIVRE PREMIER

Il faut t’armer ici contre une erreur dernière.
Ne va pas, Memmius, croire que la matière
Tende vers un milieu ; que, sans chocs du dehors,
Sans écarts vers le haut ou le bas, ce grand corps
Se maintienne appuyé sur un centre suprême.
Comme si rien pouvait prendre pied sur soi-même !
Ainsi donc, sous le sol, montant contre leur poids,
Des êtres suspendus, comme dans l’eau tu vois
Flotter sous les objets leur image pendante,
Reposeraient, liés d’une force ascendante ?
Sous la terre, dit-on, marchent, la tête en bas,
Des vivants comme nous, et qui ne tombent pas ;
Vers le ciel qui sur eux s’ouvre, pareil au nôtre,
On ne descend pas plus qu’on ne vole vers l’autre ;
Leur nuit est notre jour ; des échanges constants
D’eux à nous font tourner le visage du temps ;
Quand leur vient le soleil les étoiles nous luisent.
1080Rêves que tout cela, visions où conduisent
Les premiers pas qu’on risque à côté du chemin !

Il n’est pas de milieu dans le vide sans fin.
Mais prenons qu’il existe : à quoi bon ? Quelles causes
Près ou loin de ce centre auraient fixé les choses ?
Qu’est-ce que l’infini ? Le lieu de l’univers ;
Les poids, les mouvements, circulent au travers ;
Au centre comme ailleurs l’espace reste libre.
Quel point pourrait forcer les corps à l’équilibre
Et les soustraire au poids, leur souverain moteur ?
Non. Le vide partout cède à la pesanteur ;
Partout les pressions mesurent sa retraite.