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DE LA NATURE DES CHOSES

Effare et traîne aux pieds de la Mère Idéenne
L’ingratitude impie et le vice et la haine.
Muette, elle s’avance à travers la cité,
640Aux âmes comme aux corps dispensant la santé.
Semés sur son chemin, l’or et l’argent résonnent ;
D’un nuage odorant les roses la couronnent,
Voilant la grande Mère et ses prêtres armés.
Alors ces furieux, que les Grecs ont nommés
Curètes phrygiens, dans une étrange danse,
Ivres de sang, des mains et du front en cadence
Heurtent d’affreux cimiers et des chaînes de fer.

Tels les enfants gardiens de l’enfant Jupiter,
Les Curètes crétois, choquaient en chœurs rythmiques
L’airain des boucliers contre l’airain des piques,
Dérobant sa voix grêle à Saturne affamé,
Dont la dent parricide eût sans eux imprimé
Dans le sein d’une mère une marque éternelle !
Tels, de leur danse armée ils entourent Cybèle,
Comme pour enseigner à tout homme de cœur
À s’armer pour sa mère et son pays, vengeur
Du sol et des parents qu’honore son courage.

C’est là d’esprits subtils l’ingénieux ouvrage,
Fait de fiction pure et non de vérité.
660Les dieux vivent en paix dans l’immortalité ;
Satisfaits de leurs biens, ils n’en cherchent pas d’autres ;
Et, libres de tous maux, ils ignorent les nôtres ;
Ni vice ni vertu, ni pitié ni courroux
N’ont de prise sur eux, ils sont si loin de nous !