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IX
PRÉFACE

M. Martha a tracé de main de maître un tableau des temps où Lucrèce a vécu, et des circonstances qui l’ont amené à chercher un refuge dans la philosophie.

« Sa vie est enfermée entre deux dates qu’il faut retenir, entre les commencements de Sylla et la mort du séditieux Clodius. Elle coïncide avec le temps le plus abominable de l’histoire romaine. Lucrèce a pu voir dans son enfance Marius chassant Sylla de Rome, Sylla chassant à son tour Marius ; un peu plus tard, un jour de vote, le combat sanglant sur le Forum et dans les rues, où dix mille hommes périrent ; puis, après la rentrée de Marius et de Cinna, ce vaste égorgement qui dura cinq jours et cinq nuits ; au retour de Sylla, la terrible bataille à la porte Colline, où l’armée des Italiens réclamant des droits civiques fut exterminée, où cinquante mille cadavres restèrent au pied des murailles. Le lendemain, il a pu entendre les cris de huit mille prisonniers massacrés près du Sénat, pendant que Sylla répondait tranquillement aux sénateurs épouvantés : « Ce n’est rien, quelques factieux que je fais châtier. » De douze à seize ans, selon les calculs, il a pu voir les proscriptions du dictateur qui durèrent six mois, les listes du jour s’ajoutant à celles de la veille, les sicaires courant dans les rues, l’immolation de quinze consulaires, de quatre-vingt-dix sénateurs, de deux mille six cents chevaliers… Après tant d’horreurs, il put voir encore la paisible et insolente abdication de Sylla, défi jeté aux hommes et aux dieux. Enfin vers trente-deux ans, il a partagé les angoisses de Rome pendant la conjura-