Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/187

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720Se perdent, combinés en agrégats nouveaux,
Ainsi l’esprit et l’âme, entiers à leur descente
Dans les tissus divers de la forme naissante,
S’y dissoudraient encore ; et c’est de leurs courants,
De canaux en canaux répartis et mourants,
De leurs flots transformés, que forcément résulte
Cette âme qui préside à notre vie adulte,
Qui, d’elle-même née et mourant tour à tour,
Ayant sa première heure aura son dernier jour.

Mais laisse-t-elle ou non dans la dépouille morte
Quelques germes vivants ? — Qu’elle en laisse ; il n’importe :
En a-t-elle plus droit à l’immortalité ?
Non ; puisque d’elle en nous quelque chose est resté.
— N’en laisse-t-elle pas ? de sa prison ouverte
A-t-elle pu bondir sans retard et sans perte ?
Mais alors, conçoit-on comment peuvent, des chairs
Pourrissantes, jaillir ces légions de vers ?
D’où sort, exsangue et molle, et cependant vivante,
Dans les membres gonflés cette foule mouvante ?

Mais ces âmes, dis-tu, peuvent choisir leur corps ;
740Chacune en chaque ver arrive du dehors.
Et tu ne cherches pas quel instinct les adresse
Par milliers juste au lieu qu’une seule délaisse ?
Il est un point, du moins, qu’il te faut éclaircir :
L’âme est-elle architecte ? aime-t-elle à choisir
Les germes de son ver pour bâtir sa demeure ?
Ou dans le corps tout fait descend-elle à son heure ?
Quoi donc ! à sa prison elle travaillerait,