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DE LA NATURE DES CHOSES

À moins que, pour mettre ordre à ce conflit stérile.
Un pacte n’ait d’avance admis la plus agile
À l’honneur d’essayer les moules corporels !
Non, faire voltiger sur le lit des mortels
Cet innombrable essaim d’immortelles émules,
C’est bien le plus bouffon des contes ridicules !

As-tu vu le nuage éclore sous les mers,
Le poisson vivre aux champs et l’arbre au haut des airs,
Le sang couler du bois et du rocher la sève ?
Non ; chaque être a son aire où commence et s’achève
Son évolution. Loin des nerfs et du sang,
Sans corps, seule, il n’est pas d’âme, d’être pensant.
Autrement l’humérus ou l’occiput, que sais-je ?
Au besoin le talon, lui serviraient de siège.
Quelque membre du moins qui fixât son essor,
Le vase de l’esprit serait dans l’homme encor.
Mais ce n’est point assez. En nous l’esprit et l’âme
Ont chacun son foyer que la raison proclame
Immuable. Comment ne pas nier dès lors
820Qu’ils puissent jamais naître ou vivre hors du corps ?
Tu le vois, il faut bien, quand fléchit l’édifice,
Que l’âme éparse en lui de sa chute périsse.
Ô démence ! au mortel accoupler l’éternel !
Imaginer entre eux un concert mutuel,
Un but commun ! Quel nœud d’éléments plus contraires ?
Quels agents plus distincts ? quels alliés moins frères
Quoi ! l’être périssable et l’immortel, d’accord
Pour subir la tourmente anxieuse du sort !