« D’ailleurs, je ne sais plus qu’inventer pour te plaire !
» J’ai fait le monde ainsi, ni pire ni meilleur.
» — Ton corps est dans sa force et ton âge en sa fleur, —
» Dis-tu ? Quand tu vivrais mille ans, les mêmes peines
» S’attacheraient encore aux fortunes humaines.
» Ton immortalité n’en romprait pas le cours !»
Que pourraient les mortels répondre à ce discours ?
Que la Nature est juste et sa parole vraie.
Au malheureux surtout qui du trépas s’effraie,
Elle crie à bon droit : « Laisse-là tes vains pleurs,
» Pauvre fou, quand la mort vient guérir tes douleurs ?
» Et toi, vieillard, toujours ton âme inassouvie,
» Dédaigneuse des biens que t’épancha la vie,
» N’eut soif que des absents, de ceux que tu n’as plus.
» Tes jours mal employés pourtant sont révolus ;
» Sur ton front la mort plane imprévue et t’arrête
» Avant que le dégoût t’inspire la retraite ?
» Va ; le regret sied mal à la caducité.
» Il est temps. Place, place à ta postérité !»
Grande et forte leçon ! Tout est métamorphoses ;
Toujours un flot nouveau chasse les vieilles choses ;
Et l’échange éternel rajeunit l’univers.
Rien ne roule au Tartare, au gouffre des enfers.
Pour les peuples à naître il faut de la matière ;
Ils vivront à leur tour et verront la lumière.
Les uns nous précédaient, les autres nous suivront.
C’est un cercle éternel que nul effort ne rompt ;
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DE LA NATURE DES CHOSES