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DE LA NATURE DES CHOSES

Doit offrir aux yeux, quoi ? l’image d’un carré,
Et carrée elle-même. Il est donc avéré
Que de la vision les images sont causes,
Et qu’on ne peut rien voir sans images des choses.

Ces simulacres donc, lancés de toutes parts,
S’échappent en tout sens dans l’étendue épars.
Mais comme on ne peut voir que par les yeux, l’image
Se porte où l’œil se tourne et nous frappe au visage.
La forme et la couleur, qui figurent l’objet,
En désignent aussi la place ; leur trajet
Indique la distance entre l’œil et la chose.
L’image fend les flots de l’air qui s’interpose ;
Il lui faut les pousser, les chasser en avant.
Ils roulent, effleurant notre organe ; leur vent
Rase d’un vol léger nos prunelles et passe,
Et par la pression nous mesure l’espace.
Plus longue est en effet cette colonne d’air,
260Plus l’objet paraît loin. Mais si brusque est l’éclair
De la sensation, qu’avec leur existence,
Les objets à nos yeux révèlent leur distance.
Nous étonnerons-nous, quand notre œil ne peut voir
Ces reflets morcelés qui viennent l’émouvoir,
Qu’entier, net et certain, l’objet même apparaisse ?
Mais lorsque le zéphire mollement nous caresse,
Quand la bise nous pique, est-ce que l’on perçoit
Chaque parcelle tiède et chaque atome froid ?
Non. L’effet se confond ; l’impression reste une.
Aux chocs extérieurs cette règle est commune ;