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DE LA NATURE DES CHOSES

860Avant qu’on entendît ; et tous les autres sens
De même ont précédé l’usage qu’on en tire.
L’instinct de leur emploi n’a donc pu les produire.

Le poing a combattu l’ongle acéré, la main
Longtemps a fait jaillir des flots de sang humain,
Avant qu’un trait brillant fendît l’air. La Nature
À l’homme apprit la fuite, avant qu’à la blessure
Le bras gauche opposât le bouclier de peaux.
La fatigue aux mortels enseigna le repos
Quand la douceur des lits n’existait pas encore.
La soif pour s’apaiser n’attendit par l’amphore.
À ces inventions du besoin et de l’art
L’utilité sans doute eut la plus grande part ;
Mais quant aux instruments dont nul n’est notre ouvrage,
La possession seule en suggéra l’usage ;
Et c’est le cas des sens et des membres. Tu vois
Qu’en leur formation rien ne révèle un choix,
Un dessein préconçu d’utilité future.

Ne sois donc pas surpris si toute créature
D’un naturel instinct cherche son aliment.
880Des corps, nous le savons, s’écoule incessamment
Un flux que hâte encor l’activité vitale,
Fragments, germes perdus, que par la bouche exhale
Le souffle haletant, déchets intérieurs
Qu’en effluves sans nombre expriment les sueurs.
Le corps raréfié que cette fuite mine
Sentant baisser la vie et faiblir la machine,
Demande aux aliments la vigueur qui le fuit ;