Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
DE LA NATURE DES CHOSES
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Par ce trouble profond, le sentiment s’éteint ;
Les membres sans soutien sous leur fardeau succombent ;
Le corps languit ; les bras et les paupières tombent ;
Les jarrets affaissés ne se relèvent pas.

Volontiers le sommeil vient après le repas.
Car les mets, comme l’air coulant de veine en veine,
Agissent comme lui. La plénitude amène
Un surcroît de travail interne et de stupeur
980Couvert d’une plus lourde et plus longue torpeur.
L’âme plus largement exhale sa substance ;
Sa concentration est aussi plus intense,
Tandis que ses débris, dans les membres errants,
Restent plus divisés et plus incohérents.

Et ce qui d’ordinaire attache nos pensées,
Espoirs, ambitions dès longtemps caressées,
Objets de nos efforts, dans les songes revit.
Le général de gloire et d’horreur s’assouvit.
L’avocat croit citer des lois qu’il interprète.
À l’orage d’hier le matelot tient tête.
Moi-même, à nos travaux fidèle, je poursuis
L’œuvre dont j’ai doté ma langue et mon pays,
Et la Nature immense à moi se livre en songe.
Ainsi l’illusion du nocturne mensonge
Nous rend l’étude et l’art qui charment nos esprits.

Celui qui tous les jours, de théâtres épris,
S’adonne aux jeux du cirque avec lui les emporte,
Et bien longtemps encor son âme ouvre une porte