Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
DE LA NATURE DES CHOSES

Et plus l’être en son âme a de rudes atomes,
Plus rudement en songe il traite les fantômes.
Mais le timide oiseau bat de l’aile, anxieux,
Et dans leurs bois sacrés demande asile aux dieux,
Lorsqu’en son doux sommeil un songe affreux déploie
Quelque vol menaçant d’autour cherchant sa proie.

Enfin, quel est l’effort, quel est l’événement
Que l’homme n’accomplisse et n’achève en dormant ?
Rois terrassés, massacre et dépouilles opimes,
Défaite et servitude, effrois, cris de victimes,
Comme si l’on était sur la place égorgé !
Ici, par les lions et les tigres mangé,
Le chasseur lutte, geint, craque sous leurs étreintes ;
Sa douleur emplit l’air de furieuses plaintes.
Là, l’orateur débat de graves intérêts
1040Et s’étend en discours. L’un trahit ses secrets
Et lui-même au bourreau fait l’aveu de son crime.
L’autre se voit mourir : il se sent dans l’abîme
De tout son poids tomber du haut des monts : l’horreur
L’éveille en sursaut, hors de lui, fou de terreur ;
Il ne peut se ravoir et s’arracher au songe,
Tant la commotion dans l’âme se prolonge !
Parfois, au bord riant d’un ruisseau désiré,
Prés de quelque fontaine, un dormeur altéré
Se penche, et tout entier le fleuve entre en sa bouche.

Souvent, par le sommeil enchaîné sur sa couche,
L’enfant qu’un besoin presse en rêve innocemment
Près d’un vase ou d’un lac lève son vêtement.