Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
LIVRE QUATRIÈME

Qu’aromates, festins, coupes toujours remplies,
Couronnes et festons, débauches et folies !
C’est en vain. Le serpent est caché sous les fleurs.
La source de la joie est la source des pleurs !
On ne sait quoi d’amer, du milieu des délices,
Monte et serre le cœur : remords poignant des vices
Et du bel âge oisif au devoir dérobé ;
Quelque mot ambigu de ses lèvres tombé
Qui, feu vivant, s’attache à l’âme et la pénètre ;
Regard tendre jeté vers un rival peut-être,
Ou sourire furtif au passage surpris.

L’amour le plus heureux comporte ces périls.
S’agit-il des amours ingrats et misérables ?
Il suffit, pour en voir les douleurs innombrables,
D’ouvrir les yeux. Crois-moi, veille, suis mes conseils,
1180Et soustrais-toi d’avance à des pièges pareils.
Évitons les filets que l’amour peut nous tendre ;
Moins sûr est d’en sortir quand on s’est laissé prendre
Et de rompre le nœud que Vénus a tissé.
Cependant, même pris, l’imprudent enlacé
Dans les funestes rets peut les fuir, si lui-même
Ne s’oppose à sa fuite et, dans celle qu’il aime,
N’absout pas, égaré par d’aveugles transports,
Les taches de l’esprit et les défauts du corps.
Loin de là ; les amants accordent à leurs belles
Mille perfections qui ne sont pas en elles.
Ainsi voit-on souvent le vice et la laideur
S’emparer de la vogue et captiver maint cœur.
Ceux-ci raillent ceux-là ; l’un crie à l’autre : « Apaise