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LIVRE QUATRIÈME

S’ouvre-t-elle pour lui ? pour peu que le vent porte
Et trahisse la chose, il invente aussitôt
Quelque retraite honnête et, lui qui de si haut
Préparait sa harangue amoureuse, il oublie
Ses beaux discours, et part, s’accusant de folie,
Pour avoir espéré dans un objet mortel
Plus de perfection qu’il n’en est sous le ciel.
Sur ce point, nos Vénus ne sont guère novices ;
Elles montrent la scène et cachent les coulisses
À ceux que leur amour veut garder en ses rets.
Mais l’esprit perce à jour tous ces menus secrets
Et ces efforts de l’art. Mieux valent donc les belles
Dont l’humeur, indulgente aux faiblesses mortelles,
Comme elle en prend sa part, nous les passe en retour.

La femme sans mentir peut soupirer d’amour.
Lorsque la pâmoison d’une étreinte sincère
Rive son corps au corps de l’amant qu’elle serre
En suçant dans sa bouche un humide baiser,
1240Elle y va de tout cœur et le presse d’oser
Et lui livre le champ des voluptés jumelles.
C’est ainsi que partout les dociles femelles,
À l’étable, aux forêts, dans les prés, aisément
Portent l’assaut du mâle, et que l’ébranlement
Qui fond leurs nerfs en feu, par son intermittence,
Anime l’assaillant d’un prurit plus intense.
Pourtant, vois leurs douleurs, vois de quels nœuds cruels
Les enchaînent parfois des plaisirs mutuels.
Ces chiens des carrefours qui, d’un effort contraire,
Tirant à corps perdu, luttent pour se soustraire