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XXV
PRÉFACE

ans, beaucoup plus loin qu’au temps de Lucrèce.

Le fait premier, le point de départ de la philosophie sérieuse, c’est l’évidence des corps, la certitude de la véracité de nos sens :


Rien, si ce n’est un corps, ne touche et n’est touché,


nous dit Lucrèce (I.305) ; et, comme il réduit ou compare toutes les sensations au tact (II, 434),


Le tact, par tous les dieux ! le tact, vrai sens du corps,


son aphorisme équivaut à ceci : tout ce qui tombe sous les sens est un corps ; et, l’intelligence n’étant que le trésor des sensations et n’existant pas sans les sens, il suit que toute substance est corporelle, est sensible. Il est d’ailleurs parfaitement puéril de mettre en doute l’existence des corps (I, 423) ; ce genre de pyrrhonisme est du domaine de la comédie ; et Molière, n’en déplaise à certains matérialistes mystiques, l’a pour toujours réduit en poussière, sur le dos de Marphurius. Le corps, l’objet des sens, la substance enfin se manifestent à nous en même temps que notre propre personne qu’ils limitent, et leur réalité est inséparable de la nôtre. C’est la base de la certitude. Autrement, où appuyer quoi que ce soit du témoignage de la raison, puisque la raison procède des sens.

L’existence des corps admise et démontrée, il est facile d’observer que rien n’a de réalité sans un corps, et il est inévitable de conclure que les corps ont seuls une existence propre. Tout le reste consiste