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DE LA NATURE DES CHOSES

Des soucis, noirs tyrans dont notre âme est esclave,
Il comprit que ce mal, ce fiel que rien ne lave,
Empoisonneur des biens par le sort apportés,
20Gît dans le vase même où ces dons sont jetés ;
Or, ce vase sans fond, fuyant et perméable,
Dont rien ne peut combler l’abîme insatiable.
Dont les ferments amers souillent toute liqueur,
Le maître l’a bien vu, ce vase est notre cœur.

Il le purifia par sa parole sainte.
Il fit voir, en bornant le désir et la crainte,
Ce qu’est le bien suprême où nous aspirons tous,
Et quel chemin direct, à la fois sûr et doux,
Par une pente aisée y conduit notre course ;
Quels périls sur nos fronts planent ; de quelle source,
Hasard, fatalité des lois de l’univers,
Découlent ces tourments cruellement divers
Dont la condition mortelle est affligée ;
Par quelles portes l’âme, à toute heure assiégée,
Doit repousser l’assaut ; enfin combien sont vains
Les soucis dont les flots troublent les cœurs humains.

La nuit, l’enfant ne voit que présages funèbres ;
Encor ne tremble-t-il qu’au milieu des ténèbres :
Nous, nous tremblons le jour. L’effroi qui nous poursuit
40A-t-il donc plus de corps que ces terreurs de nuit ?
Sur ces ombres le jour épuise en vain ses flammes ;
La science peut seule éveiller dans les âmes,
À défaut du soleil, l’astre de la raison.
Je reprends donc ici l’œuvre de guérison.