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LIVRE SIXIÈME

Et d’abord, des objets que nous voyons, s’échappent,
Éveillant le regard au fond de l’œil qu’ils frappent,
Des atomes sans nombre épanchés de leurs bords.
940L’arôme se dégage aussi de certains corps,
Tout comme la fraîcheur émane des fontaines,
Du soleil la chaleur et, des liquides plaines,
Un bouillonnement rude aux murs rongés des mers.
Dans l’oreille en vibrant passent les sons divers.
Lorsque nous distillons l’absinthe, il s’en élève
Un goût amer ; souvent, quand nous longeons la grève,
Il nous vient à la bouche une saveur de sel.
Tant il est vrai qu’un flux constant, universel,
En tous lieux projeté, coule de toute chose,
Flux qui jamais n’arrête et jamais ne repose !
Les sens sont toujours prêts ; jamais nous ne cessons
De sentir des odeurs, des formes et des sons.

Secondement, tout corps est poreux : certitude
Mise dans tout son jour au seuil de cette étude,
De mille vérités indéfectible appui,
Et si liée aux faits que j’aborde aujourd’hui
Qu’on ne peut trop défendre un concept si solide.
Rien n’existe, sinon des corps mêlés de vide.
Goutte à goutte suintant des rocs supérieur,
960L’eau transpire aux parois des autres. Les sueurs
Filtrent sous les tissus des chairs et les traversent.
La barbe et le duvet sur tous nos membres percent.
Le suc des aliments, charrié par le sang,
Jusqu’aux extrémités, jusqu’aux ongles, descend.
Le chaud comme le froid dans l’airain se propage ;