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DE LA NATURE DES CHOSES

Auquel l’un avait dû de voir les cieux encor,
D’ouvrir la bouche aux flots de la brise vitale.
Pour l’autre était la perte et la coupe fatale.
Mais le pire symptôme et le plus désastreux,
C’était qu’en se sentant frappés, les malheureux,
Comme des condamnés, défaillants, le cœur morne,
Dans la prostration d’un désespoir sans borne,
Ne voyaient que la mort et mouraient de la voir.

Pour comble, nul obstacle au morbide pouvoir ;
Par la contagion transmise sans relâche,
La peste accumulait ses victimes. Le lâche
Que l’amour de la vie et la peur de la mort
Entraînaient loin des siens, juste retour du sort !
Puni par l’abandon, la honte et la misère,
Périssait d’une mort sinistre et solitaire,
Comme un mouton des champs, comme un bœuf oublié.
1260Ceux qu’avaient retenus la pudeur, l’amitié,
La caresse des voix gémissantes, prodigues
D’eux-mêmes, succombaient, trahis par leurs fatigues.
Oui, telle était la fin réservée aux meilleurs.
Quand ils revenaient pleins d’amertume et de pleurs,
Las d’avoir enfoui tout un peuple de frères,
Le chagrin les couchait sur leurs lits funéraires.
On ne voyait personne, en ces temps de malheur,
Qui n’eût sa part de maux, de morts, et de douleur.

La maladie au fond des chaumières se rue.
Pâtre, bouvier, vaillant conducteur de charrue,