comme disent les peintres, et il s’attache à la reproduire par tous les moyens disponibles. Il arrive ainsi à une fidélité supérieure que les plus ombrageux admirateurs de Lucrèce ne désavoueront pas. La franchise du ton ne se dément jamais, même dans les passages scabreux du quatrième livre, où l’auteur décrit en physiologiste ce qui doit être lu avec le même esprit. Le traducteur a compris qu’en cette occurence les voiles ne sont bons qu’à signaler la présence du nu, et que l’appel à la pudeur dans une analyse philosophique est plutôt une injure qu’un hommage à la moralité du lecteur ; en pareil cas, la pudeur, n’est-ce pas simplement la gravité ?
On n’espère pas qu’une traduction de Lucrèce ne contienne aucun
vers répréhensible, d’autant que le poète latin est lui-même, comme
on sait, loin d’être partout irréprochable. Nous nous garderons de
noter les quelques vers fatalement défectueux que nons avons
rencontrés, n’ayant pu citer les pages entières où nous pouvions
admirer sans interruption ni réserve. Le petit nombre de ces vers
sacrifiés nous a plus surpris que leur présence. Les moins rebelles à la
correction pourront être améliorés plus tard ; mais il ne faut rien
demander encore à l’immense lassitude qui doit suivre un si
prodigieux travail, réussi d’ailleurs beaucoup au-delà de ce qui semblait
possible. Nous en saluons le succès avec une émotion qui n’est pas
uniquement littéraire. Une nation dégénérée ne produirait pas sans
doute des hommes capables d’une œuvre de cette espèce ; nous
pouvons être heureux parfois que nos voisins se tiennent au courant de
nos affaires de toutes sortes, et qu’ils s’appliquent à bien savoir notre
langue.