gère à tous ces raffinements et qui, pour sauver l’âme des troubles de l’amour, recommande hardiment d’assouvir le corps.
L’amour n’enchaîne pas seulement la liberté de celui qui s’y abandonne. Il assiège l’âme de pensées indignes, de soucis ridicules, de désirs toujours renaissants que rien ne rassasie. Il entraîne après lui la dégradation et la servitude, honteuses pour un homme, surtout pour un Romain. Avec lui s’abattent sur l’homme la paresse, la dissipation, la négligence des devoirs, l’oubli des occupations viriles l’énervement de la volonté, la déchéance du caractère et de l’esprit, le sombre mécontentement et le remords qui le poursuivent jusqu’au milieu du plaisir. « Qu’est-ce autre chose, dit Bossuet, que la vie des sens, qu’un mouvement alternatif de l’appétit au dégoût, et du dégoût à l’appétit, l’âme flottant toujours incertaine entre l’ardeur qui se ralentit et l’ardeur qui se renouvelle ? » Lucrèce parle précisément le même langage. Jamais l’amertume et le vide que laisse après lui l’abus de la volupté n’ont été signalés avec plus de force.
Pour mettre l’homme en garde contre les mensonges de l’amour, le poète dépouille impitoyablement de leurs attraits illusoires et ramène à terre d’une main brutale ces êtres adorés que l’imagination exaltée comble de ses trésors et élève jusqu’au ciel. Lucrèce les accable de son ironie ; il met en pièces cette cristallisation, comme l’appelle Stendhal, qui transforme la branche sèche et flétrie en une parure de diamants, et qui n’est qu’une piperie du désir. Il démasque les artifices de ces beautés habiles à se servir de nos faiblesses, et leurs ruses savantes pour cacher leurs misères, pour le moins égales aux nôtres.
Les philosophes fermement résolus à trouver chez Lucrèce quelque pressentiment du darwinisme et autres théories contemporaines découvriront sans trop de peine, à la fin de ce quatrième livre, de curieuses considérations sur l’atavisme, sur l’harmonie et la discordance des tempéraments, sur l’accord préétabli des organes dans les deux sexes et sur les diverses circonstances d’où dépendent, selon Lucrèce, la fécondité des sexes et même la procréation à volonté des garçons et des filles. À cette physiologie plus ou moins chimérique je préfère les passages empreints de tant de grâce, d’une raison si haute, d’un esprit si véritablement romain, où il décrit en vers charmants l’austère douceur du mariage et où il oppose aux façons savantes des courtisanes la gravité chaste de l’épouse et son attrait irrésistible.