après deux mille ans, que la solidarité n’a point achevé son œuvre d’apaisement. La société est une seconde nature, collective, entée sur la première, toute d’égoïsme. Elle ne peut vivre qu’à la condition de ne pas étouffer l’autre, qui est son support ; est-ce que la greffe prospère, si on mutile le tronc qui lui fournit la sève ? Aussi, le progrès n’est-il qu’un compromis de plus en plus parfait, un accord de plus en plus intime, entre le fonds individuel et la greffe sociale ; il ne doit rien détruire de l’homme, de ses instincts, de ses passions, il doit tout améliorer et étendre par de lents perfectionnements. Là ont échoué les religions et les utopies absolues.
Mais cette organisation, même rudimentaire, de la famille, de la nation et de la morale, l’homme n’aurait pu l’accomplir sans la parole. Lucrèce le sait. Il pense que le langage s’est élevé progressivement du cri au discours. Il ne s’étonne pas que l’homme, doué des instruments de la parole, l’ait graduellement émise, articulée, fixée, régularisée. Est-ce que les animaux n’ont pas leurs dialectes divers, en rapport avec leur faculté de sentir, de penser, de raisonner ? Est-ce qu’ils n’en varient pas les accents et les sons ? Leurs langues sont pauvres, parce que leur gosier est rude, leur intelligence obtuse et leurs progrès insensibles. La sensation chez l’homme a été l’origine de la parole, et la parole à son tour a été l’instrument de la pensée persistante, de la mémoire assurée et de la logique.
Rien ne prouve mieux que les religions, les tâton-