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LX
PRÉFACE

jugé ; nous remettons la peau sur les os et les muscles, et sur la peau le duvet, la fleur de jeunesse immortelle. C’est là l’office même du poëte, la loi de toute poésie.

Les exigences de la rime et du mètre ne sont pas ce que pense M. Ernest Lavigne ; il n’est pas d’artiste exercé qui n’en triomphe comme il veut et quand il veut. Le tout est de ne pas se complaire à être vaincu. Le français n’est pas cet instrument rebelle dont se plaignent les traducteurs, même en prose. Il est souple et riche en mots ; il est tellement accentué que, chez lui, l’accent inflexible entraîne ce qui le précède et dévore ce qui le suit. Il comporte plus de sons variés que le latin, plus de voyelles, et aussi, grâce à l’e muet, plus de consonnes finales qu’aucune autre langue. Il rachète l’allongement des articles, des particules et des auxiliaires, par la contraction qui préside à la formation de ses vocables. Cela est si vrai, que certains alexandrins, dans leurs douze syllabes, renferment plus de vingt syllabes latines originaires. Il s’établit donc le plus souvent une compensation entre l’alexandrin et l’hexamètre, à ce point que, sans avoir volontairement omis un trait ou une nuance, nous n’avons dépassé que de très peu le nombre assez considérable des vers du De natura.

Cette concordance frapperait tous les yeux si nous avions pu joindre le texte latin à notre traduction. Au reste, les éditions de Lucrèce ne sont point rares, et nous nous en remettons au jugement des lettrés. Ce n’est pas un parallèle que nous imposons au public,