Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/277

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construits qu’ils avaient la souplesse d’organismes vivants.

« Tout son succès est là. Cependant ce succès, si grand qu’il soit, ne suffirait pas à justitier sa gloire, à notre époque surtout où la littérature ne saurait se réduire à un exercice d’adresse pour le conteur, à une récréation pour le public.

« Mais il y eut autre chose qu’un jet spontané, une abondance de verbe, dans l’œuvre de Maupassant. Il y eut une philosophie, une conception de l’humanité et du monde, conception discutable à la vérité, mais qui éclate à chaque page de ses livres : Maupassant est pessimiste, le pessimiste le plus déterminé peut-être de la littérature française. Et comme il n’est jamais le héros de ce pessimisme, il l’a porté plus haut que Chateaubriand lui-même, dont le lyrisme se berçait à la musique de sa douleur. Pour lui la nature, la grande mère aveugle, est inéquitable, féroce et perfide. L’homme est toujours à l’état de fauve. La civilisation, masque illusoire de sa barbarie, craque à chaque instant sous la poussée bestiale de l’instinct. Maupassant excelle à montrer la bête mal enchaînée qui gronde et qui s’insurge au fond de la geôle où l’emprisonnent les conventions et les lois.

« Dans l’homme d’aujourd’hui, paysan ou citadin, noble ou bourgeois, il retrouve l’homme éternel qui, dans la ferme, le bureau ou le salon, se souvient toujours de la caverne et des bois. Le problème de la liberté morale ne se pose pas pour lui et, de nos jours comme aux temps antiques, l’inexorable fatalité opprime le troupeau des humains. C’est l’éter-