Aller au contenu

Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péril la force de son tempérament et l’ardeur de son sang. Mélange de rudesse et de grâce, sa Normandie était un cadre reposant et approprié à son esprit. Quand, plus tard, aux approches de la maladie qui devait le terrasser, je le revis dans le Midi, ce n’était plus, quoique la mer eût gardé son attirance pour lui, le même homme, menant la même vie. Notre bon bateau de pêche, où l’on était si mal sous l’humide caresse des embruns de la mer du Nord, était devenu un yacht trop élégant d’homme de sport. Maupassant n’était plus lui-même, chêne transplanté dans une terre trop légère. Matériellement et moralement, un changement d’atmosphère fut mortel pour lui. Son indépendance native, qui allait presque à la sauvagerie, s’abolit et s’humilia aux exigences de la vie mondaine. Ceci, a-t-on dit, fut sa maladie même. J’estime que le processus fut double et que ce qui nous apparut comme un ré- sultat fut, pour une bonne part, une cause. Le vigoureux terrien qui eût su lutter contre l’adversité ne résista pas à la trop rapide caresse du succès.

Combien mélancolique, le souvenir de cette vie de Maupassant, dont le plus beau roman peut-être s’appelle Une Vie, où il a mis beaucoup de lui, mais pas tout ! Et combien elle est pleine d’enseignements ! Certes, les choses ne vont pas toujours, comme pour Maupassant, au tragique extrême : mais l’artiste qui se livre au monde, qui veut recevoir en menue monnaie d’éloges caressants la récompense de son mérite, se diminue toujours et, parfois, se perd. La haute société, en particulier, se venge instinctivement de ceux qui savent la regarder, la pénétrer et la dé-