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nature essentiellement différente du centralisme blanquiste. Il ne saurait être autre chose que la concentration impérieuse de la volonté de l’avant-garde consciente et militante de la classe ouvrière vis-à-vis de ses groupes et individus. C’est, pour ainsi dire, un « auto-centralisme » de la couche dirigeante du prolétariat, c’est le règne de la majorité à l’intérieur de son propre Parti.

Cette analyse du contenu effectif du centralisme social-démocratique montre déjà que les conditions indispensables à sa réalisation n’existent pas pleinement dans la Russie actuelle : l’existence d’un contingent assez nombreux d’ouvriers déjà éduqués par la lutte politique, et la possibilité pour eux de développer leur action propre par l’influence directe sur la vie publique (dans la presse du Parti, dans les congrès publics, etc.).

Cette dernière condition ne pourra être évidemment réalisée que dans la liberté politique ; quant à la première — la formation d’une avant-garde prolétarienne consciente de ses intérêts de classe et capable de s’orienter dans la lutte politique — elle n’est qu’en voie d’éclosion et c’est à hâter cette dernière que doit tendre tout le travail d’agitation et d’organisation socialistes.

Il est d’autant plus frappant de voir Lénine professer l’opinion contraire : il est persuadé que toutes les conditions préalables pour la constitution d’un parti ouvrier puissant et fortement centralisé existent déjà en Russie. Et si, dans un élan d’optimisme, il proclame qu’à présent ce « n’est plus le prolétariat, mais certains intellectuels de notre Parti, qui manquent d’auto-éducation quant à l’esprit d’organisation et de discipline » (p. 145), et s’il glorifie l’action éducatrice de l’usine, qui habitue le prolétariat à « la discipline et à l’organisation » (p. 147) tout cela ne prouve qu’une fois de plus sa conception trop mécanique de l’organisation socialiste.

La discipline que Lénine a en vue est inculquée au prolétariat non seulement par l’usine, mais encore par la caserne et par le bureaucratisme actuel, bref par tout le mécanisme de l’État bourgeois centralisé.

C’est abuser des mots et s’abuser que de désigner par le même terme de « discipline » deux notions aussi différentes que, d’une part, l’absence de pensée et de volonté dans un corps aux mille mains et aux mille jambes, exécutant des mouvements automatiques, et, d’autre part, la coordination spontanée des actes conscients, politiques d’une collectivité. Que peut avoir de commun la docilité bien réglée d’une classe opprimée et le soulèvement organisé d’une classe luttant pour son émancipation intégrale ?

Ce n’est pas en partant de la discipline imposée par l’État capitaliste au prolétariat (après avoir simplement substitué à l’autorité de la bourgeoisie celle d’un Comité central socialiste), ce n’est qu’en extirpant jusqu’à la dernière racine ces habitudes