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Page:Luxembourg - Réforme ou révolution ? Les lunettes anglaises. Le but final.djvu/30

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connues de l’opportunisme actuel : la surévaluation de l’importance du travail réformateur, la collaboration des classes et des partis, le développement pacifique, etc. Mais encore en séparant, dans les rangs du Parti socialiste, les intellectuels des ouvriers et en les plaçant, comme parlementaires, dans une certaine mesure au-dessus des ouvriers, le parlementarisme crée un terrain propice au développement pratique de ces illusions. Enfin les progrès du mouvement ouvrier font du parlementarisme un tremplin pour le carriérisme politique, et c’est pourquoi on voit accourir sous les drapeaux du Parti socialiste maints ambitieux et maints ratés du monde bourgeois.

C’est à toutes ces circonstances qu’il convient d’attribuer le penchant connu de l’intellectuel opportuniste des partis socialistes d’Europe occidentale vers la désorganisation et l’indiscipline.

Une autre source, bien déterminée, de l’opportunisme contemporain est l’existence d’un mouvement socialiste fort développé et, par conséquent, d’une organisation disposant de moyens et d’influences considérables. Cette organisation constitue un rempart protégeant le mouvement de classe contre les déviations dans le sens du parlementarisme bourgeois, lesquelles, pour triompher, doivent tendre à détruire ce rempart et à noyer l’élite active et consciente du prolétariat dans la masse amorphe du « corps électoral ».

C’est ainsi que naissent les tendances « autonomistes » et décentralisatrices parfaitement adaptées à certains buts politiques ; il convient donc de les expliquer non pas, comme le fait Lénine, par le caractère désaxé de « l’intellectuel », mais par les besoins du politicien parlementaire bourgeois, non par la psychologie de « l’intellectuel », mais par la politique opportuniste.

La chose se présente tout autrement en Russie, sous le régime de la monarchie absolue, où l’opportunisme dans le mouvement ouvrier est, en général, le produit, non pas de la force de la social-démocratie ni de la désagrégation de la société bourgeoise, mais au contraire de l’état politique arriéré de cette société.

Le milieu où se recrutent en Russie les intellectuels socialistes est beaucoup moins bourgeois et bien davantage déclassé, dans le sens précis de ce terme, qu’en Europe occidentale. Cette circonstance — jointe à l’immaturité du mouvement prolétarien en Russie — offre, il est vrai, un champ beaucoup plus vaste aux errements théoriques et aux oscillations opportunistes qui vont, d’une part, jusqu’à la négation complète de l’aspect politique des luttes ouvrières, et, d’autre part, jusqu’à la foi absolue en l’efficacité des attentats isolés, ou encore jusqu’au quiétisme politique, aux marais du libéralisme et de l’idéalisme kantien.

Cependant il nous semble que l’intellectuel russe, membre du Parti social-démocrate, peut difficilement se sentir attiré par l’œuvre de désorganisation, puisqu’un tel penchant n’est favorisé