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Page:Luxembourg - Réforme ou révolution ? Les lunettes anglaises. Le but final.djvu/41

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Ce malheureux « troupeau aveugle » s’est laissé entraîner par ses chefs et dictateurs à commettre cette action indigne d’êtres civilisés.

Une pointe de comique ne manque pas d’égayer ce tableau, mais nous admettons volontiers que la douleur éprouvée par les pipeurs pipés a, cette fois-ci, des raisons particulièrement sérieuses. Si les congrès précédents n’ont condamné que quelques manifestations isolées du révisionnisme pratique et théorique, à Dresde et après Dresde, le Parti a non seulement répété et renforcé les condamnations précédentes, mais il a mis sur la sellette un autre aspect du révisionnisme — il a examiné sa morale politique et les liaisons personnelles avec certains milieux bourgeois qui découlaient de cette morale.

Il se peut que l’article sur « la morale de parti » (publié par Georg Bernhard dans la Zukunft de M. Harden) soit le fruit de circonstances fortuites et ne caractérise nullement la conduite effective de tous les camarades révisionnistes. Mais quiconque a réfléchi sur les événements de ces derniers jours, ne pourra s’empêcher de trouver dans cet article l’expression adéquate de la morale du révisionnisme, telle qu’elle correspond à ses idées avec une irrésistible logique. On y considère la masse comme un enfant à éduquer auquel il n’est pas loisible de tout dire, auquel, dans son propre intérêt, on a même le droit de dissimuler la vérité, tandis que les « chefs », hommes d’État consommés, pétrissent cette molle argile pour ériger le temple de l’avenir selon leurs propres grands projets. Tout cela constitue l’éthique des partis bourgeois aussi bien que du socialisme réformiste, si différentes que puissent être les intentions des uns et de l’autre.

L’application pratique de cette manière d’envisager les rapports entre la masse et ses « chefs » nous est fournie par le jauressisme en France et par les velléités de la faction de Turati en Italie. Les « fédérations » autonomes et hétérogènes du parti jauressiste, la motion de Turati au congrès d’Imola, proposant de supprimer le Comité central du Parti, — tout cela ne signifie pas autre chose que la dissolution de la masse fortement organisée du Parti, afin que, de directrice autonome, cette masse se transforme en instrument docile des parlementaires et se dégrade jusqu’à l’état de cette « masse aveugle » qui « trotte derrière le chef », « sans savoir le moins du monde ce qu’elle veut », ou qui, si elle le sait, comme au congrès de Bordeaux, n’a pas la force de faire triompher sa volonté. Les députés jauressistes tendent même à s’émanciper du contrôle et de l’influence des organisations du Parti, auxquelles ils sont redevables de leurs sièges au Parlement et à en appeler à la masse électorale amorphe et inorganisée. Voilà les conditions d’organisation des rapports entre la masse et les chefs telles que l’article de la Zukunft les préconise, comme nécessité psychologique et comme norme de tout mouvement populaire.