Page:Luxembourg - Réforme ou révolution ? Les lunettes anglaises. Le but final.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

1918 sur la révolution russe, où elle critique âprement la suppression des libertés publiques par le bolchevisme, et le programme de Spartacus rédigé par elle quinze jours avant sa mort, où l’on trouve ce passage significatif :

« La révolution prolétarienne n’a pas besoin de terreur pour atteindre son but, elle a le meurtre en haine et en horreur. Elle n’a pas besoin de ces moyens de lutte parce qu’elle ne combat pas contre les individus, mais contre les institutions, parce qu’elle n’apporte pas dans l’arène de naïves illusions dont la perte doive être vengée dans le sang. »

Le bolchevisme a fait exactement le contraire. Depuis la première édition de cette brochure, la terreur n’a cessé de s’aggraver en Russie. Après avoir « liquidé » mencheviks et socialistes-révolutionnaires, la terreur stalinienne a exterminé toute la vieille garde léniniste. Les procès infâmes qui se déroulèrent à partir du mois d’août 1936, coûtèrent la vie à Zinoviev, Kaméniev, Tomsky (qui parvint à se suicider), Préobrajensky, Piatakov, Boukharine, Rykov, pour ne citer que les principaux. Et, en août 1940, Trotsky lui-même fut assassiné à Mexico. Il ne reste plus personne des compagnons d’armes de Lénine. Le totalitarisme triomphe dans toute sa hideur, la population de la Russie tout entière est réduite en esclavage.

Ne laissons pas déplacer les responsabilités : c’est le marxisme qui a dénoncé dès le début, dès 1904, les germes de cette évolution néfaste — l’étude ci-après de Rosa Luxembourg le prouve — et ce sont les plus grands marxistes du XXe siècle, ceux dont nous citions les noms tout à l’heure, qui estiment que le bolchevisme n’a rien à voir avec le marxisme. On nous permettra de juger qu’en cette matière la compétence des Kautsky, Vandervelde, Hilferding, etc., est supérieure à celle de M. François Mauriac et de Georges Izard.

Aux yeux de Rosa Luxembourg comme de tous les marxistes, c’est la masse organisée, éclairée et se disciplinant elle-même dans son organisation politique, qui est la force motrice de la lutte pour le socialisme. Rosa Luxembourg se méfie à juste titre des masses inorganisées, des suiveurs, de ceux qui se contentent de déposer tous les quatre ou cinq ans leur bulletin de vote dans l’urne et qui, dans l’intervalle, se désintéressent de la vie publique[1]. Aussi

  1. Sur ce point, Rosa Luxembourg fut moins conséquente avec elle-même : à certains moments (cf. sa brochure sur la grève en masse, qui date de 1907, et son discours sur le programme de Spartacus — 1er janvier 1919), elle exalte le rôle des inorganisés et des organisés de fraîche date, qui constituent la fraction la moins éclairée de la masse prolétarienne.