Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/25

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enseigna comment il devait s’y prendre pour combattre le sanglier, et il en vint facilement à bout. La reine l’envoya alors pour s’emparer d’une licorne, animal plus terrible encore et qui transperçait neuf troncs de chênes de rang avec sa corne unique. Mais, grâce au secours de la fée, il prit aussi la licorne et lui coupa sa corne. Il reçut l’ordre alors de prendre la Santirine et de l’amener captive à la cour, sous peine de mort. La Santirine habitait une caverne, dans un bois, et son haleine et son regard donnaient la mort, à une grande distance. La fée vint encore à son secours et il prit la Santirine, lui passa une corde au cou et l’amena à la cour, douce comme un agneau, au grand étonnement de tout le monde. Chemin faisant, ils rencontrèrent le convoi d’un enfant qu’on portait en terre. Tout le monde pleurait, à l’exception du bedeau, qui chantait devant le cercueil. La Santirine se mit à rire. Plus loin, ils passèrent dans un village où l’on était occupé à pendre un brigand, et tous les assistants étaient contents et joyeux d’être délivrés d’un homme si redoutable. La Santirine se mit à pleurer. Plus loin encore, en passant au bord de la mer, ils virent un navire en perdition. Tout le monde, sur le rivage, était dans la désolation. La Santirine riait. Enfin, quand ils entrèrent dans la cour du palais du roi, tout le monde était aux fenêtres, pour les voir. La Santirine leva la tête, et, apercevant la reine à un balcon, avec deux suivantes, elle rit encore.

La Santirine ne pouvait être prise et domptée que par une jeune fille, et elle disait la vérité à chacun. Le roi et la reine voulurent l’entendre, parler et dire des vérités. Le capitaine Lixur l’amena au milieu de la cour du palais. Le roi était à un balcon avec ses ministres et ses généraux ; la reine et ses deux suivantes favorites étaient à un autre balcon, et les valets et autres domestiques étaient en bas, dans la cour. Le capitaine Lixur commença d’interroger la Santirine et lui demanda d’abord pourquoi elle avait ri lorsque, en venant à la cour, ils rencontrèrent le convoi d’un enfant que l’on portait en terre, et où tout le monde était triste et pleurait. « Je n’ai pu m’empêcher de rire, répondit-elle, en voyant le vrai père, le bedeau, qui chantait devant, et celui qui n’était pour rien dans la naissance de l’enfant, et qui s’en croyait le père, qui pleurait par derrière ! » Tout le monde rit à cette réponse.

Le capitaine Lixur reprit : « Et un peu plus loin, dans le village où l’on pendait un brigand quand nous passâmes, pourquoi vous êtes-vous mise à pleurer, tandis que tout le monde était content et joyeux ? » La Santirine répondit : « Parce que ce brigand mourait en état de péché mortel, et que je voyais sur la potence un démon qui guettait son âme, pour l’emporter dans l’enfer. — Et en voyant un navire en perdition, pourquoi avez-vous ri, pendant que tout le monde pleurait ? demanda encore le capitaine Lixur. — Parce que, répondit la Santirine, tous ceux qui étaient sur ce navire mouraient en état de grâce, et que je