Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/8

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simplement les autres, pour ne pas excéder les proportions d’un rapport ordinaire.

J’ai lu, dans ces derniers temps, les facétieuses nuits de Straparole, et j’ai été étonné de voir comme celles des fables de ce très-intéressant recueil qui sont vraiment populaires et anciennes se retrouvent toutes dans nos chaumières bretonnes, et souvent assez peu modifiées. On serait tenté de croire que ce livre, qui date de la première moitié du XVIe siècle, aurait été connu dans nos campagnes. Il serait pourtant bien singulier que ces contes italiens fussent arrivés par cette voie à des paysans qui, alors plus qu’aujourd’hui, ne savaient ni lire ni écrire. On pourrait alléguer qu’ils ont été lus d’abord dans les châteaux, les manoirs et les couvents, et que de là ils sont descendus dans le peuple. Mais j’aime mieux croire que toutes ces fables, communes à une famille de peuples, se sont conservées plus ou moins altérées chez ces différents peuples, grâce à la tradition orale, qui me semble atteindre plus haut que l’histoire écrite, du moins pour ce qui regarde les récits mythologiques et merveilleux[1]. Il faut convenir aussi que le champ des inventions et des combinaisons dont est capable l’esprit humain est plus limité qu’on ne se l’imagine généralement, et de là bien des rencontres fortuites que l’on est souvent disposé à prendre pour des imitations directes.

Je commence mes analyses :

LA PRINCESSE DE TRONKOLAINE[2]


Il y avait une fois un pauvre charbonnier qui avait déjà fait baptiser vingt-cinq enfants. Dieu lui en envoya un vingt-sixième, et il se mit en route pour lui chercher parrain et marraine. Il vit passer le roi dans son carrosse et il se mit à genoux, dans la boue, pour le saluer. Le roi lui jeta une pièce d’or.

  1. Il faut pourtant admettre une exception en faveur des Védas.
  2. Ce nom me paraît être altéré, bien que je ne puisse pas dire quelle a dû en être la forme première. Je croirais volontiers que le mot lenn, qui signifie étang, y entre en composition. Dans une version de la même fable, que j’ai recueillie en mars 1873, dans l’île d’Ouessant, le héros du conte, envoyé également pour demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève, en reçoit la réponse suivante : « Chaque matin, quand je quitte mon palais, je vois la princesse Poulfanc (la princesse de la mare) qui se baigne, toute nue, dans son étang, et je ne puis m’empêcher de rougir de honte en la voyant dans cet état. »