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Quand la Princesse arriva, elle se hâta de le retirer du feu, à demi cuit, et de chercher en lui quelque reste de vie, quelque faible fût-il. Elle craignait de n’en point trouver la moindre trace. Elle le frotta pourtant avec son onguent, vida sur lui tout un flacon d’eau-de-vie, et, peu à peu, lentement, elle le vit ressusciter et enfin se relever, aussi bien portant et aussi vigoureux qu’il le fut jamais.

— Victoire ! cria-t-elle alors ; tes épreuves sont terminées et tu m’as délivrée de ces méchants démons, qui n’ont plus aucun pouvoir sur moi !

Et elle lui sauta au cou pour l’embrasser, et lui dit :

— À présent, suis-moi, et je vais te récompenser comme tu le mérites.

Et elle le conduisit dans les caves du château et, lui montrant deux barriques :

— Tiens ! voilà une barrique pleine de pièces d’or, toutes neuves, et une autre barrique pleine de pièces d’argent, et je te les donne toutes les deux. Personne ne sera aussi riche que toi, dans le pays, et tu pourras te choisir une femme parmi les plus riches et les plus belles. Es-tu content ?

Ewen remercia la Princesse, et pourtant il ne paraissait pas aussi content qu’elle s’y attendait ; il était même assez triste.

— N’es-tu donc pas satisfait ? lui demanda-t-elle encore ; pourquoi es-tu triste, et que désires-tu encore ?

— Oui, répondit-il, mon cœur est triste.

— Pourquoi ? dis-le-moi et je t’accorderai ce que tu me demanderas, si c’est en mon pouvoir.

— J’avais espéré, répondit-il, que, après tout ce que j’ai souffert pour vous, ce n’est pas avec de l’or et de l’argent que vous m’en récompenseriez, mais en m’accordant votre main.

— Je n’ai rien à te refuser, répondit-elle, en lui tendant la main, pas même cela. Nous sommes fiancés, dès ce moment, et dans dix jours nous célébrerons nos noces, si tu ne m’oublies pas et me reste toujours fidèle. Je te donne donc rendez-vous, dans dix jours, au bourg de Plouaret, pour la cérémonie du mariage. Je vais, en attendant, me rendre chez mon père, dans son royaume de Gascogne.

Et elle partit dans un beau carrosse attelé de quatre dromadaires.

Au terme fixé, au bout des dix jours, Ewen se mit en route pour le bourg de Plouaret, accompagné seulement de son valet de moulin, Gabic, à qui il avait acheté un habit neuf, et qui devait être son témoin et son garçon d’honneur. À Penanménez, sur leur passage, habitait dans une misérable hutte, au bord de la route, une vieille sorcière, qui avait une fille, jeune et belle, laquelle était amoureuse de Ewen Kerépol, qui était un fort joli garçon. Comme Ewen passait avec son valet, elle était sur le seuil de sa porte, et elle l’interpella de la sorte :

— Comme vous voilà farauds, les gars ! Où donc allez-vous ainsi ? On dirait que vous allez à une noce.

— Peut-être bien, répondit Ewen, sans s’arrêter.

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