Page:Luzel - Soniou Breiz Izel vol 1 1890.djvu/18

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pitié les plus gracieuses fleurs du Barzaz-Breiz. Et que dire de tant de chants, les plus beaux du volume, dont nul d’entre eux n’avait ouï parler[1] ?

Un des meilleurs folkloristes de notre temps, M. Sauvé, eut un jour une surprise qui, tout d’abord, le remplit de joie. Comme il voyageait dans le nord du Finistère, il vint à passer près d’un lavoir, et il entendit une des lavandières qui chantait. Il s’arrêta pour écouter. « Hé,

  1. 1 On me dira « Ces chants, auxquels vous faites allusion, ont pu se transformer ou disparaître, depuis le temps où M. de la Villemarqué et ses collaborateurs les ont recueillis. » Certes les chansons populaires, comme toute création humaine, sont sujettes à périr. Mais, elles ne s’éteignent que très lentement, et dans un pays conservateur comme la Bretagne, elles ont la vie encore plus dure que partout ailleurs. Des gwerziou que M. Luzel collectionnait il y a plus de quarante-cinq ans, il n’en est pas une qu’on ne puisse entendre chanter aujourd’hui, dans son intégrité. Quelle fatalité spéciale aurait donc frappé de mort subite, dès le lendemain de leur publication, les chefs-d’œuvre du Barzaz-Breiz ? M. Quellien dit, dans l’ouvrage dont il est parlé plus loin, « qu’il appartient toujours au peuple de transmettre les chansons populaires ou de les vouer à l’oubli. » C’est trop évident. Mais, il resterait à savoir si le peuple opère, par pur caprice, cette sorte de sélection, ou si sa mémoire, soit en perpétuant, soit en laissant mourir ses chansons, n’obéit pas à des lois fixes, possibles à déterminer. Je ne crois pas qu’il soit permis d’hésiter entre les deux hypothèses, pour peu que l’on se soit rendu compte de ce que la vie intellectuelle du peuple a d’inconscient et de routinier. — M. Quellien pense aussi que les chansons populaires « ne sauraient avoir une authenticité. » Il se fonde sur ce fait que « l’auteur en est anonyme. » Il faut cependant s’entendre. Quand on parle de l’authenticité d’un chant populaire, cela ne veut pas dire qu’on sait exactement à quel auteur l’attribuer. Cela veut dire que ce chant, quel que soit son auteur, a été adopté par le peuple, qui se l’est approprié, l’a rendu sien. — Qu’on se trompe parfois en affirmant que tel chant est d’origine populaire ou que tel autre ne l’est pas, j’en conviens ; il y a des pasticheurs très adroits. Mais, de là à conclure que les chants populaires ne sauraient avoir une authenticité, la distance est belle.