Page:Luzel - Soniou Breiz Izel vol 1 1890.djvu/26

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prestige souverain elle gardait ? N’oublions pas enfin que la famille même de M. Luzel comptait parmi ses membres des esprits distingués, assez en avance sur leur temps pour comprendre quelle importante contribution fournirait un jour à une histoire bien faite la connaissance des traditions et des chants du peuple. Je fais allusion surtout à son oncle, M. Le Huërou, le savant auteur des « Institutions Mérovingiennes », dont la mort prématurée fut un vrai deuil pour la science historique, alors naissante. En dehors de ses grands travaux, il s’occupait volontiers de folklore, comme on dit aujourd’hui. M. Luzel n’eut qu’à suivre ses traces. Il le fit, quarante-cinq années durant, et son ardeur n’est pas éteinte.

Pendant ces quarante-cinq ans, à quelques intervalles près, on a constamment vu M. Luzel pérégrinant par les routes bretonnes ; ses amis ont fini par le surnommer Boudédéo Breiz-Izel, le Juif-Errant de la Basse-Bretagne. Soit avec ses ressources personnelles, soit aidé par des subventions du ministère de l’Instruction publique, il a battu, si l’on peut dire, toutes les broussailles du pays d’Armor, pour en faire s’envoler les chants du peuple. Il s’est attablé aux auberges, les jours de pardon, alors que la vertu du cidre remue les vieilles choses, dans les cerveaux. Il a fréquenté les meuniers, les tisserands, les tailleurs et les pâtres. Il s’est fait bienvenir des couturières, dont la langue vibre comme l’aiguille. Il a passé de longues heures, accroupi sur des tas de copeaux, sous la hutte à forme gauloise des sabotiers. Il lui est même arrivé de coucher à la belle étoile, entre deux collectes de chansons[1]. Nul n’a plus payé de sa personne, pour rassembler les richesses éparses du trésor populaire. Bretons, mes amis, qui croyez autant à l’immortalité des

  1. Je regrette de n’avoir pas en ce moment sous la main une gracieuse composition, encore inédite, de M. Luzel et qui est précisément un hymne en l’honneur de cette « auberge sans rivale » qui a pour enseigne « à la Belle-Étoile ».