Page:Luzel - Soniou Breiz Izel vol 1 1890.djvu/31

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Dans une récente excursion faite avec M. Luzel, j’ai constaté de visu ce que j’avance. Nous avions choisi Le Guerlesquin pour première étape. Administrativement, Le Guerlesquin se rattache au Finistère ; ethnographiquement, il est trégorrois. Nous y arrivions à un mauvais moment, dans le grand coup de feu de la moisson… Pas un chat, dans le bourg : les rues sont vides, la plupart des maisons, closes. A l’auberge où nous sommes descendus, l’hôtesse, informée de ce pourquoi nous venons, ne pense pas que nous ayons chance de rien trouver. Nous nous mettons cependant en quête ; dans toute notre après-midi, nous finissons par dénicher deux chanteuses. Mais, le soir vient, les moissonneurs rentrent. Le bruit a couru que nous sommes là. Un homme m’aborde : « Vous voulez des chansons ? J’en sais ! » Il a donné l’exemple ; maintenant c’est à qui s’empressera… J’ai encore ce spectacle devant les yeux : la salle encombrée de monde : M. Luzel et moi, chacun à notre table. Autour de nous, un groupe compact, mais respectueux. Pendant que l’un débite sa sôn, les autres se recueillent. Quelques femmes ont sur les bras leurs enfants, qui s’endorment, bercés par toutes ces chansons. Dehors, dans la sereine nuit de septembre, la foule qui n’a pu pénétrer à l’intérieur s’est tassée contre le mur de l’auberge, et, par instants, on voit surgir, dans le cadre des fenêtres ouvertes, des têtes éveillées de gamins. Je n’oublierai jamais cette soirée. Que n’y assistiez-vous, o Prosper[1], poète du Guerlesquin, dont le souvenir voltige toujours sur ces campagnes ! Quand on prononce votre nom devant les vieilles de cette bourgade, qui furent jeunes de votre

  1. 1 Prosper Proux, l'auteurde Kanaowennou eur C'hernewod et de Bombard Kerne. On ne le connaît là-bas que sous son prénom. Il y passa toute sa jeunesse. Peu de Bretons ont eu, au même degré que lui, le don de la poésie gaie, bonne enfant ; pleine de verve, de piquant et d’humour. Ses vers enchantèrent les hommes de sa génération. Au Guerlesquin, on les redit toujours. Ils ont la saveur franche, le pétillement lumineux du cidre armoricain.