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travaux et aussi à leurs plaisirs. On le retrouvait aux champs, on le retrouvait sur les routes fleuries des pardons. Souvent il y renouait amitié avec sa douce d’autrefois. Oh ! c’étaient de discrètes amours, sans racines bien profondes, une sorte d’idylle de vacances, sans cesse interrompue, sans cesse recommencée, et qui s’achevait sans éclat, — à moins que la jeune fille délaissée ne mourût de désespoir, comme cela se lit en quelques gwerziou ; et alors, le clerc, devenu prêtre, se donnait garde de lui survivre.


On les couchait dans la même tombe,
Puisqu’ils n’avaient couché dans le même lit.


Plus d’un clerc, d’ailleurs, s’arrêtait à mi-chemin de la prêtrise, et s’en retournait aux rustiques occupations de ses ancêtres. Mais, longtemps encore, ses mains restaient plus blanches que celles du commun. Il avait quelque chose de distingué dans la mine, et parlait une langue savante, émaillée de termes incompris du peuple. Il enchâssait dans ses discours des noms mythologiques, dont les illettrés s’ébahissaient. Il apparaissait à son entourage comme un être prestigieux. D’aucuns allaient jusqu’à lui prêter des connaissances occultes, jusqu’à voir en lui un thaumaturge. Dans mon enfance, il n’était bruit que d’un certain cloarec Prat, qui, disait-on, ensorcelait les gens et passait par le trou de la serrure pour rejoindre ses maîtresses. Ces clercs rentrés dans la vie laïque continuaient à bénéficier, auprès de la foule, du commerce momentané qu’ils avaient eu jadis avec les prêtres. Comme ceux-ci, ils étaient censés posséder des livres de magie, des Agrippas (style de Tréguier) ou des Vifs (style de Cornouaille[1]). Les hommes


1 Nos paysans désignent sous le nom d’Agrippas les traités d’occultisme attribués à Cornélius Agrippa de Nettesheim, qui naquit à Cologne en 1481, et mourut à Grenoble, en 1535. Comment la mémoire de cet Allemand du XVe siècle est-elle devenue

  1. Nos paysans désignent sous le nom d’Agrippas les traités d’occultisme attribués à Cornélius Agrippa de Nettesheim, qui naquit à Cologne en 1481, et mourut à Grenoble, en 1535. Comment la mémoire de cet Allemand du XVe siècle est-elle devenue si populaire dans nos campagnes ? Comment s’y est-elle maintenue jusqu’à nos jours ? On l’ignore. D’après les Bas-Bretons, l’Agrippa est un livre doué d’une espèce de personnalité diabolique. Il ne consent à révéler les secrets qu’il contient, qu’après avoir été battu comme plâtre. On ne le dompte qu’au prix d’un effort acharné. Au dire du peuple, tous les prêtres possèdent un Agrippa. Ils le consultent, pour savoir lesquelles sont damnées de leurs ouailles défuntes. Grâce à lui, ils peuvent aussi évoquer les morts et les Esprits infernaux. Il ne se doit lire qu’à rebours. Des profanes en ont quelquefois entre les mains un exemplaire. Ceux-là, on les respecte, on les redoute, on vient faire appel, moyennant pécune, à leurs lumières surnaturelles. « Dans les foires et dans les pardons, raconte M. Luzel, on m’a souvent montré du doigt un vieillard pensif, à l’œil vif et intelligent, au teint hâlé, ordinairement solitaire dans la foule, et duquel on s’écartait, quand il passait. « Celui-là a un Agrippa ! » me disait-on à l’oreille. » C’était Mélo-Vraz, de Louargat ; il habitait au pied de la montagne de Bré. Agrippa est le terme sous lequel on connaît en Tréguier le mystérieux livre. En Cornouaille finistérienne, on l’appelle Ar Vif. Mais, c’est toujours le même traité de sorcellerie, dangereux à manier et fécond en mésaventures pour qui ne sait pas l’art de s’en servir. J’en citerai quelques-unes, fort amusantes, dans un prochain volume sur « les légendes de la Mort en Basse-Bretagne. »