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Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 2, 1865.djvu/160

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RIENZI.

attristait, sans l’abattre, la résolution de cette grande âme ? Qui peut dire ce qu’il avait dû endurer, méditer, dans l’ermitage de Maiella, sur les collines désertes de la capitale de ce défunt empire dont la resurrection avait été son rêve ; dans les cours de rois barbares, et surtout en revenant, obscur et déguisé, au milieu des multitudes du monde chrétien, au siège de sa première puissance ? Quel amas de souvenirs, et dans quel cerveau impétueux et ardent ! Que de réflexions avait dû couver, dans les cachots d’Avignon, un homme qui avait poussé jusqu’au plus haut degré du fanatisme quatre passions, dont une seule, dans ses excès, suffirait pour briser la raison la plus vigoureuse, passions ennemies et contraires à concilier ; lui, le soupirant, le prétendant, le fiancé de la liberté, en même temps que l’adorateur de la puissance, de la science, sans cesser d’être aussi le fidèle serviteur de la religion !

« Oui, murmurait le captif, oui, ces textes sont consolants, très-consolants. Les justes ne sont pas toujours opprimés. » Avec un long soupir il mit résolûment la Bible de côté, la baisa avec un grand respect, et resta quelques minutes silencieux et rêveur ; puis, comme un bruit léger se fit entendre en un coin de la cellule, il dit doucement : « Ah ! mes amis, mes camarades, les rats ! c’est leur heure. Je suis bien aise d’avoir du pain à leur donner. » Ses yeux s’égayaient à voir alors ces animaux étranges, insociables, s’aventurer par un trou de la muraille, faire ombre aux rayons de la lune sur les dalles et glisser sans crainte vers lui. Il leur lança des morceaux de pain, et resta quelques minutes à contempler en souriant leurs gambades. « Manchino, le vieux barbon ! Le coquin bat tous les autres. Ha ! ha ! c’est un maître drôle : c’est le chef de la tribu, c’est lui qui va se risquer le premier dans la trappe. Comme il vous mordille le fil de fer, le démon, pendant que les autres poltrons le re-