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RIENZI.

puisque je ne commande plus à de braves citoyens, je résigne mon pouvoir au tyran que vous préférez. Voilà sept mois que je vous gouverne ; le commerce est florissant, la justice sans tache, la victoire nous a été fidèle sur le champ de bataille : je vous ai montré ce que Rome pouvait être : à présent que j’abdique le gouvernement que vous m’avez donné, quand je n’y serai plus, n’oubliez pas du moins votre liberté ! Peu importe quel est le chef d’un brave et grand peuple. Prouvez au monde que Rome a plus d’un Rienzi ; puisse l’autre être plus heureux que moi !

— Je suis bien fâché qu’il nous ait imposé ces maudites taxes, dit Cecco del Vecchio, la vraie personnification du sentiment populaire, et qu’il n’ait pas décapité les barons !

— Oui ! cria l’ex-forgeron, mais ce saint vase de porphyre !

— Et puis d’ailleurs, pourquoi irions-nous nous faire couper la gorge, dit Luigi le boucher, comme mes deux frères, que Dieu garde ! »

En général, sur les visages de la multitude il y avait une expression commune d’irrésolution et de honte ; beaucoup pleuraient et gémissaient : personne, excepté le petit nombre de mécontents, n’accusait, personne ne blâmait Rienzi, mais personne ne semblait disposé à prendre les armes. C’était une de ces lâches paniques, un de ces étranges accès d’indifférence et de léthargie qui souvent saisissent tout un peuple quand il fait de la liberté une affaire d’élan et de caprice, une réclame, mais sans avoir longtemps goûté ses douceurs incomparables, ses bienfaits solides et profonds ; quand il se laisse effrayer par le premier orage qui vient assombrir son aurore. Un peuple comme il y en a tant au midi, et comme le nord lui-même en a connu, et comme l’Angleterre elle-même en aurait pu voir, si Cromwell eût vécu un an de plus ;