Sa voix ajoutait au prestige. Il l’enflait, puis la baissait harmonieusement. Il eût fait un orateur consommé. Perpétuellement tourné vers ce qui est grand, généreux et original, il possédait un répertoire d’exploits galants et militaires, où le farouche le disputait au précieux dans un excellent dosage très français. Imaginez une interpolation des Vies des Dames galantes de Brantôme avec les Vies des grands Capitaines. Son horreur de la vulgarité s’affirmait, quand il disait à mon père : « Votre Zôla », comme s’il y avait eu sur l’o plusieurs accents circonflexes et dépréciateurs.
Je l’ai montré grand et beau buveur. Un soir à Champrosay, le domestique, se trompant, versa à la ronde, au lieu de vin blanc, une antique eau-de-vie de prunes, dépouillée certes, mais encore vigoureuse. D’Aurevilly se faisait toujours servir au ras bord. Avant qu’on n’eût eu le temps de l’avertir de la méprise, il avait déjà tout englouti d’une lampée, sans nul émoi, comme si cette rasade eût été naturelle.
Il avait en horreur certains contemporains, pour la mollesse de leur style ou la vulgarité de leurs idées. D’où son mot célèbre, au sujet du plus prolixe d’entre eux : « Ses parents, mossieur, vendaient de la porcelaine. Lui, c’est un plat. » Mais il était tout indulgence et bonté envers les petits confrères laborieux et miteux, qui font péniblement leur chemin dans le journalisme. Il citait volontiers Byron et les lakistes, Shakespeare, les Pères de l’Église et les grands classiques. Somme toute, une admirable personnalité, un diamant que rien ne pouvait rayer, sinon un autre diamant de même taille et de même clivage. On l’eût vainement cherché parmi ceux de sa génération.
Tout autre était Leconte de Lisle. Il avait certes un beau masque glabre, âpre et railleur sous le monocle, mais il sentait le rond de cuir. C’était un fauve de bibliothèque, une sorte de fonctionnaire venu des Îles, aigri, mécontent, et qui faisait des mots sur ses chefs. Le peuple de statues qui se pressent dans ses Poèmes barbares a conquis, je le sais, de nombreux, d’ardents suffrages. Il m’a toujours laissé insensible, et ce tailleur de marbre, armé de son ciseau et de son marteau, ne m’a jamais été sympathique. Le plus bizarre de sa destinée, c’est qu’il n’ait point lâché en liberté le satiriste et le polémiste qui existaient