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les farfadets

« Peut-être, ô notre compère le Bos. Ne vous lamentez pas si fort. Avant que mort vous prenne, peut-être les reverrez-vous.

« Regardez l’humble foyer où nous grelottons : il semble éteint pour toujours. À peine avons-nous la force de chanter pour saluer votre rentrée au logis, tant le froid nous engourdit.

« Écartez ces cendres. Soufflez sur ces braises. Les voilà qui rutilent comme des yeux de loup dans la nuit. Soufflez plus fort… vous avez encore les poumons solides. Placez quelques brindilles emmi les charbons. Déjà des étincelles fugaces partent en pétillant. Allez dans ce coin querir une grosse bourrée sèche. Couchez-la en travers des landiers.

« Allons, notre ami. N’y a-t-il point dans la huche un pain frais de pur froment, et là-bas un fût de cidre vieux ? Il ne sonne mie creux, le tonneau ! Sa panse est gonflée de ce benoît jus de pommes que jadis vous fêtiez si bien. Versez hardiment. La claire lueur fait trembler des escarboucles dans le verre… Quelques rasades encore, et une douce chaleur va ragaillardir vos membres las.

« Et, tant que vous boirez, que le feu réchauffera l’antique demeure, nous, ses hôtes familiers, nous chanterons de toutes nos forces :

« Ne pleurez plus, compagnon. Avant que mort vous prenne, peut-être les reverrez-vous. »

Car, chaque hiver, les arondelles, nos amies communes, s’enfuient au loin de l’autre côté des mers. Elles nous quittent avec de petits cris d’« au revoir ! », — et s’en vont, ivres d’espace, droit vers l’Orient.

Sous leur ventre blanc glissent comme en un rêve les rives, les bois, les villes.