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L’INDE AUX COMÉDIES FRANÇAISE ET ITALIENNE EN 1770

à son mérite la poésie de Lemierre ; nous serions même tentés de l’accuser d’indulgence. Par notre analyse, on s’aperçoit que la tragédie est froide et brutale à la fois, que des coups de théâtre grossiers n’en rompent point la plate monotonie, que les personnages en sont tout conventionnels, et qu’il n’est pas une minute où nous émeuvent leurs sentiments ou leurs aventures.

Mais il est curieux de rechercher par quelles notions Lemierre pouvait donner à ses contemporains l’illusion qu’il connût un peu l’Inde.

Il sait quelques noms géographiques : Malabar, Bengale, Ougly, Gange. Il a, dans les historiens grecs ou latins, appris quelques faits historiques :

Recule dans les temps, et vois dans l’Inde antique
Combien l’on a brigué ce trépas héroïque :
Songe au fils de Porus ; remets-toi sous les yeux
Des veuves de Céteus le combat glorieux.

dit le Grand Bramine au jeune Bramine. C’est par Diodore de Sicile que Lemierre a connu l’histoire des veuves de Céteus. C’est par Diodore de Sicile encore qu’il a connu une des origines que les anciens donnaient à « la loi des bûchers » : le Grand Bramine en effet, dans la discussion qu’il a avec le Général, s’exprime ainsi :

Quant à la loi cruelle où la veuve est soumise,
Autant que la raison l’équité l’autorise :
Les femmes autrefois, ne l’as-tu point appris ?
Hâtaient par le poison la mort de leurs maris.

Et Diodore raconte, en son dix-septième livre, qu’Héphestion parvint chez un peuple, où la loi avait été établie que les femmes se brûlassent avec leurs maris : « Τοῦτο δ’ἐϰυρώθη τὸ δόγμα παρὰ τοῖς βαρϐάροις διὰ μίαν γυναῖϰα φαρμάϰοις ἀνελοῦσαν τὸν ἄνδρα ».

Des mœurs de l’Inde, de ses traditions, de sa philosophie, de sa religion Lemierre n’a que les idées les plus vagues. Par nos citations, on a pu apprécier certaines de ses connaissances. Il sait encore que des hommes, qu’on appelle fakirs et « joghis )), pratiquent les plus rudes austérités :