Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

148 l'épopée

Mais, malgré ces talents relevés, Daurel n'en exécute pas moins les tours des jongleurs « de corps » ; il connaît tous leurs « jeux », et, après avoir charmé Vaiiiirat de Babylone avec sa harpe et sa viola, il « sauta e tomba » de façon que « tuh s'en son alegratz » (v. 12 10). Les gens du moyen âge prenaient, comme on sait, un plaisir extrême à voir faire des culbutes (c'est pro- prement le sens de « tomber »), et certains jongleurs, comme le héros du charmant conte du Tumbeor Nostre Dame, n'a- vaient pas d'autre spécialité. Les femmes se livraient aussi à cet exercice : il y avait des turnberesses comme des tumbeors, et dans notre poème même, nous voyons la femme de Daurel^ cette mère héroïque qui prend l'initiative de sacrifier son propre fils pour sauver le jeune Béton, et qui plus tard, après avoir suivi des yeux son époux qui s'en va, se donne la mort en se jetant du haut de la tour ; nous voyons, dis-je^ Béatrix repré- sentée dans cette posture étrange :

E Daurel vieula, ela près a tombar (v. 204) '.

Pour sa peine, le jongleur reçoit de riches cadeaux, que l'au- teur de Daurel n'a garde d'oublier : un palefroi de Bovon, un destrier de Charlemagne. Ces largesses ne dépassent pas la vraisemblance et les usages connus ; mais quand Bovon, sans aucune raison particulière, donne à Daurel un château, c'est-à- dire une ville forte, avec un port, il y a là une exagération visible, qui s'explique par le fait que le rôle attribué dans notre poème à un jongleur était rempli, dans les récits qu'a suivis Tauteur de ce poème, par un vassal de condition chevaleresque : nous voyons en efi'et, à deux reprises. Gui venir mettre le siège devant le château de Daurel, d'abord pour s'emparer de T'enfant qu'il veut faire périr, puis pour se venger de ceux qui le lui ont soustrait.

��I. L'idée des culbutes est si bien associée, dans la pensée générale du moyen âge, à celle de la profession de jongleur que Béton, parlant eu fils de jongleur, dit à un ennemi qu'il vient de renverser :

. . . Bon sap car et tumhatz. Que ab joglar vos estes encontratz.

(V. 1751-2; cf. V. 1764.)

�� �