Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

RAOUL DE CAMBRAÎ Î57

vée jadis par Ybert, délaissée par lui et devenue religieuse. Bernier a vu l'incendie gagner le couvent, il a vu sa mère étendue au milieu des flammes; sur sa poitrine son psautier en feu; il a vu brûler « les mamelles dont elle l'avait nourri ». Il dévore cependant sa douleur, et quand Raoul, ayant chaud dans sa partie d'échecs, demande le vin, c'est Bernier qui lui présente à genoux la coupe d'or. Raoul la prend, et la vide à la ruine des fils d'Herbert. Bernier n'y tient plus : « Raoul, dit-il, tu payes mal le service que je t'ai fait. Tu as brûlé ma mère dans son moutier, tu veux maintenant déshériter mon père et mes oncles ; je devrais leur porter secours et me venger. — Ah ! bâtard, dit Raoul, tu es digne de ta naissance. Tu es l'homme de mes ennemis, et tu n'es ici que pour m'épier. Peu s'en faut que je ne te tue. — Bâtard? dit Bernier ; je ne mérite pas ce nom \ Ma mère était une femme noble, que mon père enleva en pays lointain. Quand il en épousa une autre, il lui offrit un chevalier pour mari ; elle le refusa, et devint nonne, choisissant la meilleure part. Tu m'insultes, et tu n'oserais pas me combattre si j'avais une arme. » Raoul, hors de lui, saisit un tronçon de lance et frappe Bernier sur la tête ; le sang coule jusque sur la fourrure d'hermine ; Bernier se jette à son tour sur lui ; on se met entre eux deux. « Je pars sans congé, dit Bernier ; qu'on me donne mes armes. » Mais ces natures pri- mitives changent de sentiments avec une brusquerie qui nous déroute. En voyant couler le sang de son ancien ami, Raoul est plein de deuil. « Frère, dit-il, je t'en ferai droit. — Quel droit peux-tu me faire ? Tu as brûlé ma mère, tu m'as fendu la tête. Je n'aurai pas d'accord avec toi tant que le sang qui rougit mon hermine ne sera pas de lui-même remonté à ma tête ; voilà la seule condition de paix que j'accepte. » Raoul ne se décourage pas ; il se met à genoux, et lui dit : « Ecoute ; ce que je vais te dire, je ne le dirais pas au roi de France, mais je veux t'offrir une réparation complète. Je te donnerai cent bons chevaux de guerre, cent mulets et cent palefrois, cent épées et cent hauberts, cent heaumes et cent boucliers. Ce

��I. Il y a là une bien singulière définition de ce qu'il faut entendre par « bâtard » : // n'est bastars s'il )Ca Dieu renoie (v. 1709).

�� �