Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1^2 l'Épopée

aussi faire les chansons. Déjà cependant des jongleurs les exécu- taient. Le vers que je viens de citer est suivi de celui-ci :

Ja mais jouglere tele ne chantera, et ailleurs Bernier, exhortant les siens à la vaillance, leur dit :

« Soiez preudome et bon combateor ; Chascun remembre de son bon anceisor. Je ne volroie por une grant valor Povre chançon en fust par jougleor. »

Ces vers rappellent des passages très analogues de la Chanson de Roland. Toute la vie de ces guerriers est ainsi enveloppée de poésie vivante; ils se sentent eux-mêmes des personnages épiques, et ils entendent d'avance, au milieu du bruit de leurs coups de lance et d'épée, la chanson glorieuse ou insultante qu'on fera sur eux.

Tout ami qu'il était des fils d'Herbert, Bertolai avait au moins l'impartialité poétique : il a dessiné les traits héroïques de la figure de Raoul avec une puissance qui la fait encore se dresser devant nous dans toute sa sauvage grandeur. Il est fort difficile de se représenter ce que pouvait être sa chanson. Con- çue au lieu même de la bataille, destinée à être entendue par ceux qui y avaient pris part, il est clair qu'elle ne racontait pas tout au long des faits que connaissaient tous les auditeurs. Elle reflétait surtout les sentiments des divers personnages, elle les mettait en scène et les faisait parler, elle signalait les princi- paux incidents du combat, elle concluait sans doute par un chant de victoire mêlé à un « regret » des morts et même de Raoul. Elle devait accentuer beaucoup plus que ne le fait le poème actuel le fond du différend entre Raoul et les fils d'Herbert, essentiellement lié aux circonstances contemporaines, et qui se devine encore à travers les altérations des remanie- ments postérieurs. La question qui se débat, en effet, dans ce poème, est celle de l'hérédité des fiefs, résolue depuis longtemps au xu^ siècle, encore incertaine au x^. Le comte de Cambrai ne laissant qu'un fils mineur, le roi prétend disposer de son fief, en essayant, il est vrai, de faire épouser la veuve à celui qu'il en a investi ; la veuve et les parents du mort résistent, et

�� �