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i66 l'épopée

qu'il se fit ermite. » Cette disparition de l'indomptable vieillard dans les ténèbres est assurément grandiose,, et clôt poétique- ment une vie pleine de violences et de crimes. Dans la façon dont Guerri tue Bernier, on retrouve cette soudaineté de sen- timent, cet envahissement subit et irrésistible de l'âme par la passion du moment qui caractérisent si vivement les héros de l'épopée féodale. Ce morceau n'est assurément pas d'un poète vulgaire, et j'ai peine à croire qu'on l'ait conçu au milieu du xiP siècle.

Quoi qu'il en soit, c'est à cette époque que remonte essen- tiellement la seconde partie de Raoul de Cambrai, celle qui est en assonances. Les éditeurs la jugent un peu postérieure, parce qu'ils veulent qu'elle ait été jointe à la première partie quand celle-ci était déjà rimée. La continuation en assonances d'un poème rimé serait^ quoi qu'ils en disent, un fait invraisemblable et isolé, et je ne vois pas sur quels arguments on appuierait cette hypothèse. Il est bien plus probable que la seconde partie a été jointe à la première quand celle-ci n'existait encore qu'en assonances. Plus tard, la première partie fut seule mise en rimes, soit que le rimeur ait travaillé d'après un manuscrit qui ne contenait pas la suite, soit qu'il n'ait pas achevé son travail ; ce travail incomplet aura été seul recueilli dans le manuscrit de Fauchet, tandis que dans le manuscrit de la Bibliothèque natio- nale on y aura joint la seconde partie en assonances. Cette conjecture me paraît la plus vraisemblable, si l'on admet ce que j'ai dit tout à l'heure sur le caractère du dénouement de la seconde partie, et si Ton considère qu'entre la première partie (rimée) et la seconde (assonante) il n'y a pour le sens aucune solution de continuité. Il fallait bien d'ailleurs faire connaître aux auditeurs ce qu'étaient devenus Bernier, Guerri le Sor et Gautier, les principaux personnages du récit. Seulement il est clair que l'épisode de la captivité de Bernier chez les Sarrasins' et tout ce qui s'y rattache (v. 6581-8300) est une interpolation de jongleur '. Nos anciens poèmes sont comme les églises du

��I. Toute l'histoire de la naissance à Saint-Gilles du fils de Bernier, qui devient plus tard comte de Saint-Gilles, prouve, comme je l'ai dit ci-dessus, p. ,134, que Julien de Saint-Gilles était alors un héros célèbre. C'est peut-

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