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268 LE ROMAN

logie celtique, que par la représentation de l'amour « courtois » qui y est donnée dans tout son raffinement ; elle contient quel- ques scènes frappantes très bien exécutées. Yvain se recommande par l'intérêt un peu mystérieux de l'épisode introductif, par la malicieuse peinture de la veuve bientôt consolée, par quelques épisodes ingénieusement construits '. Erec plaît par l'aimable tableau, au début, de la pauvreté d'Enide si courageusement supportée, et plus tard de sa résignation et de son fidèle amour qui résiste aux plus dures épreuves, ainsi que par quelques mor- ceaux pleins de grâce et où il y a plus de sentiment vrai que dans la plupart des œuvres du poète ^ Cligês est celui de tous les poèmes de Chrétien qui a pour nous le moins d'attraits : le style en est particulièrement pénible et maniéré ; les sentiments y sont décrits et exprimés avec une froide subtilité ; les carac- tères y sont faiblement ou banalement tracés ; le vieux motif oriental sur lequel le roman est construit y est, peu heureuse- ment, altéré dans le détail (le changement que le poète a introduit dans l'esprit même de ce motif est au contraire très ad- missible), et une introduction inutile et parfaitement ennuyeuse, sortie de l'invention du poète, fiiit attendre trop longtemps au lecteur le vrai commencement de l'action '. Cligês mérite cepen- dant d'être examiné de près, tant en lui-même et pour l'étude des procédés littéraires de l'auteur que pour la recherche de sa source directe et des formes diverses qu'a revêtues la très ancienne légende qu'il a accommodée à sa guise.

��1 . Je ne range pas dans le nombre le conte du lion délivré et reconnais- sant qui a donné son second titre au roman : cette historiette, qui a été at- tribuée dés l'antiquité à divers personnages, ne sert à rien dans le récit où Chrétien a jugé bon de l'insérer (sans avoir d'objections à l'introduction d'un lion dans une forêt de Bretagne).

2. L'épisode final, ]n Joie de la cour, est curieux en lui-même, bien que fort obscurément narré, par ses origines mvthiques ; mais il n'a rien à faire avec le reste du roman, qu'il sert simplement à allonger. La description des noces d'Erec et d'Enide est aussi trop longue et chargée d'une érudition inutile.

3. Les contemporains, comme l'a remarqué M. Fôrster (p. xl), n'ont pas eu le même goût que nous : avec Perceval, c'est Cligês qu'ils semblent avoir le plus goûté et qu'ils citent le plus souvent : l'étrange histoire de la feinte mort de Fénice est sans doute ce qui les a le plus charmés.

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