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Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/280

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276 LE ROMAN

voulu, elle met au monde le plus bel enfant qui soit jamais né: on l'appelle Cligès.

Cette première partie forme, on le voit, en elle-même, un petit roman, peu accidenté d'ailleurs. Il est évidemment modelé sur celui qui sert d'introduction au Tristan de Thomas. Mais l'imitation est bien inférieure au modèle, non seulement pour les raisons que j'ai déjà indiquées (p. 272), mais parce que la mort tragique de Rivalen, avant la naissance de son fils, forme à la fois le dénouement et la raison d'être du prologue de Tristan, laissé orphelin, au lieu qu'il importe fort peu à l'histoire de Cligès de savoir comment ses parents se sont mariés.

Ce qui mérite, au point de vue littéraire, dans ce petit roman, d'attirer l'attention, c'est la façon dont l'amour y est traité.

Chrétien a représenté ses deux amoureux comme n'osant s'avouer leurs sentiments l'un à l'autre et comme exprimant dans de longs monologues leurs alternatives de hardiesse et de timidité, d'espérance et de découragement. Tout cela est à sa place dans des histoires comme celles de Rivalen et de Blanchefleur, où l'amour naît entre un simple chevalier et la sœur d'un roi, d'IUe et de Galeron, où c'est à peu près la même chose, d'Ipomédon et de « la Fière », où il naît entre une souveraine fqui, d'ailleurs, a affiché sa prétention d'être inaccessible à l'amour) et un « soudoyer » inconnu, et dans plusieurs autres romans, mais ne l'est guère ici, puisque Alexandre, fils d'empereur, et Soredamours, nièce de roi, sont parfaitement assortis et n'ont à redouter aucune opposition à leur union. Passons. Ce qui a amusé le poète et ce qui a plu à ses auditeurs, ce sont les monologues où les amoureux, chacun de son côté, dans des nuits d'insomnie, s'exposent à eux-mêmes leurs sentiments contradictoires. C'est un genre d'exercice que Chrétien a encore cultivé dans la seconde partie de son roman et qu'on retrouve, mais beaucoup moins déve- loppé, dans LauceJot et dans Yvain. Erec et Perccval n'y prêtaient pas, et il n'y a dans Philoiiwna qu'un germe du genre : c'est dans Cligès que notre poète l'a le plus complaisamment déve- loppé. Il ne l'avait pas inventé. Le monologue amoureux est une formule poétique qui remonte' à l'antiquité grecque, et qui, chez nos poètes, provient directement d'Ovide. Il serait inté-

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