Aller au contenu

Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

280 LE ROMAN

galanterie mondaine et raffinée ' : ce blond cheveu flottant dans le rêve, il l'aurait tissu, avec des fils d'or, — et aussi de clin- quant, — dans la manche d'un vêtement d'apparat.

L'autre emprunt à Tristan dont je veux parler est d'un genre différent ; il s'agit au contraire ici d'un trait tout litté- raire, trait d'un goût à la fois très raffiné et très contestable. Gotfrid de Strasbourg introduit les premiers aveux de Tristan et disent, sur le vaisseau qui les ramène d'Irlande, par un dialogue, évidemment traduit du français de Thomas, où il joue sur les mots Vamcr (ainare), Vamer (amarunï) et la mer. Tristan, voyant Iseut troublée, — c'est après qu'ils ont bu le fatal breuvage d'amour, — lui dit (j'abrège) : « Qui vous trouble, belle ? de quoi soupirez-vous ? — C'est Vamer, répond Iseut, qui me fait souffrir et qui m'oppresse. » Tristan considère que ces deux syllabes ont trois sens ; il fait exprès de négliger le premier, — le seul vrai, — et dit à Iseut que sans doute la mer la tourmente et l'amer (l'amertume, l'aigreur) du vent. « Non, répond-elle , ni l'un ni l'autre ne me trouble : c'est Vamer seulement qui me fait mal. » Alors, sûr de comprendre il s'enhardit et lui dit : « Belle, en vérité, il en est de même pour moi : l'amer et vous êtes mon tourment. »

Ce jeu de mots un peu puéril ne laisse pas d'être ingénieu- sement inventé comme procédé pour amener l'aveu mutuel que les amants brûlent de se faire sans l'oser : il a été suggéré au poète par le fait que leur amour commence en mer sur le vaisseau qui les porte d'Irlande en Cornouailles ; il est intime- ment mêlé à l'action et la fait avancer à un de ses moments les plus critiques. Chrétien, — qui ne permet à ses amants d'échanger leurs aveux que quand la reine les leur dicte, — ne pouvait reproduire entre eux, pendant leur navigation, ce dialogue équivoque et troublant. Mais cette navigation - lui a

��1. Comme l'a remarqué M. Forster, Chrétien semble encore s'être ins- piré de ce trait dans un épisode, — non moins artificiel, — • de la Charrette, où Lancelot, trouvant des cheveux de Guenièvre, — restés dans un peigne ! — les baise et les « adore » : ils sont plus brillants que l'or c autant que le plus beau jour d'été est plus brillant que la nuit ».

2. L idée de cette navigation elle-même a sans doute été suggérée par celle

�� �