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leurs langues ne disent rien. « Que Fénice n'ose commencer, ce n'est pas merveille, car une pitcele doit être timide ; mais qu'attend-il et pourquoi tarde-t-il, celui qui pour elle est si hardi en tout et n'est « accouardi » qu'envers elle ? D'où lui vient cette crainte, qui lui fait redouter une piicele seule, faible, peureuse, simple et coie ? Il me semble voir les chiens fuir devant le lièvre "... Je veux toutefois dire ici pourquoi il arrive aux fins aman:^àç. perdre sens et courage pour déclarer ce qu'ils pensent quand ils en ont facilité, temps et lieu. » Et le poète, s'adressant à ceux qui « maintiennent loyalement les coutumes d'Amour et n'ont jamais violé sa loi », les adjure de dire s'il n'est pas vrai que « l'on ne peut voir ce qu'on aime sans pâlir, sans tressaillir, sans perdre le sens et la mémoire ». Un amant est le sergent (serviteur) d'Amour, et un bon sergent tremble devant son maître : « Amour sans crainte est un feu sans flammes, un jour sans soleil, un rayon sans miel, un été sans fleurs, un hiver sans gelée, un ciel sans lune, un livre sans lettres. . . Qui veut aimer, il lui faut craindre. Mais il ne doit craindre que celle qu'il aime, et pour elle être hardi encontre tous. Cligès n'a donc pas tort s'il redoute son amie. Cependant il n'aurait pas laissé de lui parler d'amour et de la requérir, quoi qu'il en dût adve- nir, si elle n'avait été la femme de son oncle ; mais c'est ce qui le tourmente le plus ^ et ce qui l'empêche de dire sa pensée. Ainsi ils s'en reviennent vers les leurs, et s'ils parlent de quelque chose, c'est de choses qui ne les intéressent nullement. » Ce passage, malgré quelques longueurs et bizarreries d'expression, ne manque pas de charme et de grâce. Ce que j'y veux surtout relever, c'est qu'il renvoie évidemment aux Regulae Atnoris, censées édictées par Amour lui-même, telles que nous les a conservées André le Chapelain ^ : il est intéressant de constater

��1. Chrétien, comrrre trop souvent, gâte son idée en la ressassant dans une file de variantes, où il énumère toutes sortes d'animaux plus forts qu'il se figure tremblants devant des animaux plus faibles (les vers 3852-5853 sont très obscurs).

2. Pour rimer avec oncle le poète s'exprime ainsi : Por ce sa pluie li reoticle Et plus li grieve et plus li (liant.

3. Comparez : Dites moi si Feu puet veoir Rien qui por ajnor ahelisse, Que

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