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300 LE ROMAN

Ce Jean n'a pas son pareil pour tailUer et deboissîer, c'est-à-dire faire œuvre à la fois de sculpteur et de charpentier. Cligès le fait venir et lui dit : « Tu es mon serf ; je puis te donner ou te vendre et prendre tout ce que tu as. Si tu voulais m'aider dans un besoin que j'ai, je t'affranchirais ainsi que les tiens. » Jean se met avec joie aux ordres de son maître et lui promet le secret le plus absolu. Quand il sait de quoi il s'agit, non seu- lement il se charge de ce qui concerne la sépulture, mais il propose à Cligès de lui montrer « le lieu le plus beau qu'il ait jamais vu » : c'est l'endroit « où il travaille, peint et taille, seul et loin des gens ». Il l'emmène hors de la ville, à une tour qu'il s'était bâtie et dont il lui fliit visiter les salles « peintes à belles images bien enluminées ». Mais la merveille est une construction souterraine, où on accède par une porte et un esca- lier dont nul ne pourrait soupçonner l'existence : c'est là que Fénice pourra vivre en toute sécurité ; il y a de belles chambres, des voûtes peintes, des bains alimentés par de l'eau chaude, tout ce qu'il faut pour le séjour d'une dame. Cligès affranchit Jean et le remercie avec effusion.

Comme ils rentrent en ville, ils entendent partout les lamen- tations du peuple sur la maladie de l'impératrice. Fénice, en effet, n'avait pas perdu de temps; elle s'était ouverte de son pro- jet à Thessala, qui lui avait promis de lui donner un hoivre qui la rendrait pâle, froide et rigide, sans parole, sans haleine et semblable en tout à une morte ; l'effet de ce breuvage durera un jour et une nuit, pendant lesquels elle sera complètement insensible (Ne bien ne mal ne sentira). Aussitôt Fénice s'était dite fort malade et avait déclaré ne vouloir voir personne, sauf l'empereur et son neveu. Ce dernier vient en effet un instant près d'elle et peut lui dire ce qu'il a arrangé avec Jean. L'em- pereur se désole et appelle les médecins : mais elle refuse absolument d'en voir aucun : elle n'a de confiance qu'en un mire qui, quand il le voudra, la fera vivre ou mourir ; on croit que c'est Dieu qu'elle veut dire, mais elle n'entend que Cligès, son vrai Dieu. Elle ne mange ni ne boit et devient pâle et faible. Au bout de quelques jours, Thessala trouve le moyen de faire juger par les médecins, qui, exclus de la chambre de la malade, en sont réduits à l'uroscopie, que l'impératrice mourra

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