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CLIGÈS 313

à une seule, le plomb fondu versé dans les mains, et c'est l'em- pereur qui l'ordonne'. Il serait par trop surprenant que l'au- teur de Marques, par simple élimination, eût retrouvé précisé- ment dans ces trois traits capitaux la forme originaire dont Chrétien s'était écarté.

Je pense donc que le conte de Marques nous donne une idée assez exacte du récit latin contenu dans le livre de Beauvais, récit où par conséquent l'amant s'appelait déjà Cligès ^ et était le neveu de l'empereur '. C'était une version assez altérée du thème de la feinte morte : dans toutes les autres (voir cepen- dant quelques réserves faites plus loin), la simulation de la mort a pour but et pour résultat de permettre à l'amant d'em- mener au loin la femme qu'il veut posséder; ici cette ruse péril- leuse parait peu utile à des amants qui se possèdent déjà. En outre, l'histoire, telle qu'elle est dans Marques, est incomplète; toutefois, les mots « ainsi la dame fut chez l'ami de Cligès long- temps » nous indiquent que les amants finirent par être décou- verts. C'était probablement leur châtiment qui faisait le dénoue- ment du récit.

Une histoire analogue, où le mari n'était autre que Salomon, circulait en France au temps de Chrétien de Troies ; il la con- naissait sous cette forme en même temps que sous celle où il s'agissait d'un empereur grec et de son neveu : les médecins de Salerne, quand on leur dit que Fénice n'a pas voulu se laisser voir par leurs confrères de Constantinople, soupçonnent qu'elle pourrait bien feindre la mort comme la femme de Salomon :

��1. Chrétien a voulu (voir ci-dessus, p. 507, n. 2) montrer Alis rempli de confiance en sa femme, et il a imaginé l'intervention peu heureuse des méde- cins de Salerne, avec l'exagération des tortures que subit l'impératrice. Le stupéfiant (avec le rôle de Thessala) est probablement aussi de son invention (voir plus loin).

2. Il ne serait pourtant pas impossible que l'auteur de Marques, qui écri- vait au xiiie siècle, eût connu aussi le poème de Chrétien et lui eût emprunté le nom du héros. — On ne sait que faire de la première partie de ce nom bizarre, dont la terminaison en es a seule un air grec.

5. On peut croire que c'est précisément cette circonstance qui a frappé Chrétien et lui a suggéré le rapprochement avec Tristan.

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