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LA LITTERATURE NORMANDE AVANT L ANNEXION 79

musique exécutés par des chanteurs bretons et accompagnés d'une explication du sujet qui donna lieu plus tard en français aux petits poèmes narratifs du même nom, s'étaient de bonne heure répandus en Normandie : le lai de Milon s'y passe en partie ; Marie de France, dans le lai de Bisclavret, remarque que les Normands l'appellent Garwnlf, ce qui indique qu'elle puisait à une source normande, et dans le lai des Deux Amants elle met en scène une touchante tradition locale encore con- servée à Pitres, près de Pont-de-l'Arche \ Mais Marie était « de France » et non de Normandie, et parmi les lais qui nous ont été conservés en dehors des siens, on n'en voit pas dont l'ori- gine normande puisse être établie. Il est même à noter que Renaud, l'auteur du lai consacré à la bizarre et tragique his- toire d'Ignaure, invoque, pour justifier le titre de « lai du Prisonnier » qu'il donne à son poème, les Bretons, les Français et les Poitevins, mais ne parle pas des Normands ^. Parmi les trente ou quarante romans « bretons » en vers qui sont arrivés jusqu'à nous, il n'en n'est pas un, — sauf peut-être le Tristan de Béroul % — qui puisse avoir une origine normande et il en est de même des romans en prose venus plus tard. Ce serait toutefois s'aventurer trop que de nier toute part prise par les Normands à la diffusion de cette source jaillie si près d'eux et qui devait verser sur le monde un tel rajeunissement de poésie. Il est établi aujourd'hui que les plus anciens romans arthuriens que nous ayons, ceux de Chrétien de Troies, bien loin d'être les premiers de leur espèce, succèdent à une série à peu près séculaire de contes bretons mis en français, et on peut attri- buer aux Normands, dans cette activité que nous connaissons

��1. Voyez sur le lai des Deux Amants, ainsi que sur les autres lais de Marie, les remarques de R. Kôhler en tête de l'édition de M. Warnke, Die Lais der Marie de France, Halle, 1885 (Bihliotheca iiormannica, III).

2. Bartsch et Horning, La langue et la littérature française depuis le IX^ siècle Jusqu'au XIV<^ siècle (Paris, Maisonneuve, 1887), col. 558.

3. Telle est du moins l'opinion de M. Ernest Muret, auquel nous devrons prochainement une édition critique de ce poème : voy. Romania, t. XXVII, p. 613 [cf. Le Roman de Tristan, par Béroul et un anonyme, poème du Xlh siècle publié par Ernest Muret (Société des Anciens Textes français, 1903) ; Introduc- tion, pp. LIX et LXIllJ.

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